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Billet de blog 13 décembre 2022

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Nicole Genovese, royale !

REPRISE. « Le rêve et la plainte » e de Nicole Genovese nous entraîne en musique à Versailles, au petit Trianon, dans le coin cuisine du couple royal et lors d’un pique-nique avec leurs proches et leurs potes marseillais Fred et Déborah. Décapant, cisaillant, drôle. Que demande le peuple ?

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Illustration 1
Scène de "Le rêve et la plainte" © Charlotte Fabre

On n’a pas oublié le choc que fut la découverte en 2014 dans la salle minuscule de la Loge de Ciel mon placard. Nicole Genovese (texte) et Claude Vanessa (mise en scène), inséparables comme des sœurs siamoises, portaient au pinacle cette parodie amoureuse du théâtre de boulevard complètement jetée et hilarante (lire ici). Cinq ans plus tard, Genovese-Vanessa remettaient le couvert avec Hélas, une diablerie d’une constante drôlerie créée au Théâtre de la tempête (lire ici) autour d’un repas de famille. Je n’ai pas encore vu leur « jeune public «  titré Bien sûr oui ok mais j’ai hâte, et je suis allé, sans attendre, à la première de leur nouveau spectacle Le rêve et la plainte au Théâtre des Bouffes du nord. Une fois de plus je suis reparti de là le nez en trompette, les yeux en goguette et le ventre tartiné de plaisir. Voir une compagnie exquise passer en huit ans de la Loge aux Bouffes du nord donne du baume au cœur : tout n’est donc pas sclérosé en ce bas monde du théâtre français. Il était temps car la fin du monde est proche nous suggère Le rêve et la plainte. Il est vrai que Genovese-Vanessa son passées maître dans l’art de brouiller les lignes, les temps, les genres.

Un splendide castelet en bois (signé Nicole Genovese et Pierre Daubigny) est planté au centre de la scène de plein pied des Bouffes du nord, il est de surcroît pourvu d’une série de toiles peintes (Lùlù Zhàng) qui seront tour à tour dévoilées. Quelle belle machine jouer ! Côté jardin, la musique du violiste et compositeur chilien Francisco Manalich nous met dans une ambiance pseudo-baroque de sa composition. Francisco a raconté à Nicole, ce qui n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde, que la viole avait été bannie de la cour du roi Louis XVI pour cause de ringardise. Nicole lui offre sa vengeance en faisant bientôt entrer en scène, comme si on était au théâtre du petit Trianon,, Marie Antoinette (Nabila Mekkid) alias Marie elle même flanquée de sa copine la princesse de Lamballe (Angélique Zaini) , chanteuse à ses heures et du comte Alexandre de Tilly (Francisco Manalich), chanteur et gambiste, tous joliment costumés par Julie Dhomps.

On les surprend à l’heure du thé, en pleine conversation. « ...alors j’ai commencé » par un bac STT option puéricultrice puis j’ai fait un bts commerce parce que je navais pas vraiment de choix de carrière... » commence Marie-Antoinette. Le ton est donné: les temps, les époques, les attendus valsent, ça cour-circuite à mort. Louis XVI alias Thibaut ( Maxence Tual) a offert à son épouse la nouvelle cuisine dont elle rêvait « avec des corniches type un peu Versailles ». Surgit bientôt le comte d’Artois (Sébastien Chassagne) qui fait la jonction , disons entre la cour et le café du commerce, dès sa première réplique percutante et recyclable à l ’infini : « ...mais de qui est terrible avec ces mesures, c’est que personne n’y comprend rien ! Je veux dire, peu importe le contenu, ce qui est terrible, c’est que malgré ces siècles de progrès, on en soit là: une décision capitale est prise pour une population et personne n’est capable de comprendre de quoi il s’agit ».

Au cinquième tableau, le plus long, celui du pique-nique, tout commence par un merveilleux chant de la princessse de Lamballe -douce amie que Marie Antoinette appelle Véro-avant qu’elle ne se pâme devant les vertus de Face book pour retrouver ses photos de classe, c’est alors que surgissent, en provenance du Midi, Fred (Solal Bouloudnine) et Deborah (Nicole Genovese), on se faite la bise. « Les enfants , ça va ? » demande Deborah à Marie Antoinette qui répond : « la petite nous a fait une fièvre depuis deux jours, je m’inquiète un peu, mais ça va, on voit le médecin lundi. La vie quoi, la vraie, avec l’accen, les « peuchère » de Fred. Le roi Louis XVI alias Thibaud réitère pour la énième fois son serment : « je serai prêt à crever pour les gosses ! » Entre deux rincées et deux tranches de saucisson, on discuter ferme : « je pense que le pays est dans une situation économique critique et que s’il faut faire des économies c’est maintenant ou jamais ». Réponse du comte d’Artois, homme de gauche : « même sur le dos de la population ? ça ne te dérange pas que le gouvernement fasse des économies sur le dos des populations ? ». Réplique de Fred, entre Le Pen et Zémour : « quelle population ? Une population de fainéants râleurs bons à rien ? » On trinque. C’est Louis XVI qui rince « C’est un petit brouilly qui était pas cher chez Auchan. j’ai bien aimé l’étiquette. J’ai pris la bouteille». « Il en a pris six !» corrige Marie-Antoinette qui, elle, adore aller chez Picard.

Et puis, le soir tombe et tout se gâte. Une rumeur, un bruit venant de loin et qui enfle. Un orage ? De la grêle ? des blocs de glace ? Un tsunami ? La fin du monde ? Rideau ! Noir ! Ce n’était que du théâtre, alors les acteurs saluent. Comme dit Marie-Antoinette : « rentrons ».

Tout l’art de Genovese tient du déraillement, avec le rire en embuscade. Merci Nicole.

Le spectacle "Le rêve et la plainte"de Nicole Genovese est repris au Théâtre de la Tempête du 2 au 25 mai, du mar au sam 20h, dim 16h

Le texte est publié aux Éditions l’œil du prince, 100p, 14€

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