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C’est en Pologne que l’idée lui est venue à la faveur d’une exposition (à Katowice, sans doute) , on se sait trop comment, peut-être après avoir lu Le sanatorium au croque mort de Bruno Schulz. L’idée d’en finir avec les sempiternels cercueils tristement rectangulaires le taraudait. A chacun sa marotte. Pourquoi faut-il donc que le cadavre soit toujours étendu, bras le long du corps, mains jointes ou pas, mais toujours avec les jambes bien droites, bien raides et l’une à côté de l’autre, se demandait ce diablotin de Philémon. Sans aller jusqu’à des idées révolutionnaires tel le mort qui serait enterré bras croisés et jambes repliées selon un modèle breveté Bouddha ou bien le modèle Cochonnaille qui le verrait les membres tronçonnés et la tête coupée, le tout venant fourrer les cavités du buste, sans donc aller jusque là, l’artiste belge vivant à Lille Philémon Vanorlé, aussi astucieux que curieux (et se proclamant autant influencé par Don Quichotte que par Gaston Lagaffe, Bartelby de Melville ou Monsieur Hulot de Tati) a eu l’idée, peut-être prophétique, d’inventer un cercueil où le corps aurait les jambes écartées.
Les interprétations selon le sexe du défunt étant ouvertes : la femme écartant les jambes pour des raisons particulières qui ne sont pas celle de l’homme descendant de sa Twingo pour aller se soulager debout et bien planté sur ses jambes en plein champ. Bref, l’artiste et son imagination débordante sont allés voir un menuisier polonais qui a réalisé le cercueil sans se poser de questions mais contre rémunération. Après quoi, ne songeant pas à mourir prématurément, l’artiste, revenu à Lille avec sa création en passant par la Belgique, a mis son cercueil en forme de Y en vente sur Leboncoin. En vantant sa marchandise funéraire unique en son genre mais cependant dépourvue de capitonnage tout en précisant que sa forme des plus originales, n’entrait pas dans un four voué aux crémation ni dans un corbillard traditionnel.
De La voix du Nord aux DNA, l’affaire ne manqua pas d’échos. Mais d’acheteurs. Après une longue attente, un dénommé Patrick Vermeulen se manifesta. D’un côté, il était atteint d’un cancer qui lui laissait peu d’espoir de finir centenaire, de l’autre il avait fait l’acquisition d’un vieux corbillard assez spacieux mais il manquait cependant deux centimètres pour y faire entre le cercueil en forme de Y. Affaire conclue, l’acheteur entreprit de rénover et l’allonger le corbillard pour, le moment venu, prendre place dans la boite et s’en aller au cimetière les jambes écartées, prêt à embrasser l’éternité. Mais son cancer subit alors une formidable rémission. Que faire ? Comment en finir à la fin des fins ?
Toute cette histoire (et quelques autres adjacentes), Philémon Vanorlé la raconte dans une sorte de spectacle-performance-conférence des plus réjouissant(e)s avec pupitre, power point, photos, présentation d’autres œuvres à l’appui. Car l’artiste n’en est pas sa première création. Leur ensemble forme un fantastique cabinet de curiosités. On doit à l’artiste belge vivant à Lille la création du Psychopompe dont je ne dirai rien car vous découvrirez à quoi cela sert en allant voir l’énergumène. Mais je ne résiste pas à vous parler d’une œuvre de 2010 intitulée la Tortue-Merckx. Soit un vélo de la marque Eddy Merckx (célèbre cycliste belge). Ce filou de Philémon retourne le vélo, ôte les pneus et les remplace par des tubes de néons de couleur rouge. Lesquels permettent une vitesse pouvant rivaliser avec celle de la tortue, d’où le titre. Autre création-invention magnifique, le Solar Kriktos. Soit un hommage rendu à la baraque de frites (dite friktos en Belgique) sous la forme d’une friterie flottante adaptée au futur des littoraux inondables ce qui ne saurait tarder du côté de la mer du Nord. Cette œuvre associe cabine de bateau, panneaux solaires et tube à frites.
Terminons ce tour de zonzons par Pégasse. Soit un âne harnaché de part et d’autre de panneaux solaires. On convertit l’énergie solaire en électricité et, une fois les batteries pleines, l’animal avec son kit et sa prise femelle peut servir à recharger un téléphone portable, une batterie de voiture, une lampe, etc.. Et Philémon Vanorlé de philosopher : « ce Pégasse -assurément insolite- poserait-il la question de l’hyper modernité, de la fin des énergies fossiles, de la locomotion lente? En cette période de crise et de croissance molle, Pégasse porte ses ailes, aujourd’hui il livre du courant ». Bref, maintenant que vous êtes au courant, courez-y sans attendre.
Ajoutons que l’artiste belge vivant à Lille faisait partie du « club du pigeon cravaté et autres races » qui a fermé ses portes à Bruxelles en 2005, à l’âge de quatre vingts ans. Philémon Vanorlé faisait partie de ce club et son grand-père en était le Secrétaire-Trésorier. Fort de cet ascendant, l’artiste a récupéré l’héritage de la société et l'a rebaptisée « Société volatile », laquelle sert de support de création pour l’artiste, ses amis et collaborateurs. Échappée ou pas, on n’échappe pas à Philémon Vanorlé
Théâtre du Rond-Point, du mar au ven 20h, sam 19h relâche le dimanche et les 17 et 18, jusqu’au 23 déc. Le spectacle a été créé fin nov au Vivat d’Armentières. Il sera les 31 janv et 1er fév au Salmanazar d’Épernay qui a déjà accueilli l’artiste, puis du 13 au 15 mars au Phénix de Valenciennes dans le cadre du Cabinet de Curiosités.