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Billet de blog 14 février 2024

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Au commencement était le corps

En attendant les Jeux Olympiques, Cédric Orain a écrit et met en scène « Corps premiers », un voyage aux sources du sport autour d’une pléiade de sportives et sportifs de légende.

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Illustration 1
Scène de "Corps premiers" © Christophe Renaud de Lage

A l’approche des Jeux Olympiques, le théâtre n’en est plus au stade de l’échauffement : il court, il boxe, il dribble. Les mots, les voix, les corps. Ce sont là ses corps premiers. Cependant, en titrant son spectacles Les corps premiers, Cédric Orain joue habilement sur l’ambiguïté car les corps sont à la base de tout sport. Entraînement et répétition sont par ailleurs des mots cousins. « Le corps vient avant ! Avant le premier mot, avant le premier souffle! Le corps est premier » écrit Orain. Qui insiste : « Il comprend tout avant, mais il n’en dit rien. Il devrait avoir son mot à dire mais n’ouvre jamais à la bouche ». Cédric Orain lui donne la parole en le mettant en bouche à travers trois corps et trois âges. 

Côté bibliothèque, si ce n’est déjà fait, en ces mois pré-Olympiques, l’Arche devrait propulser en librairie l’ouvrage de Bertold Brecht l’Uppercut et autres écrits sportifs. On peut aussi, sans attendre, se remettre en jambes en lisant L’Ironie du sport d’Antoine Blondin (ses chroniques dans le journal l’Équipe) ou prendre un uppercut en relisant De la boxe de Joyce Carol Oates. Sans parler de Courir de Jean Echenov ou de Deux mètres dix de Jean Hatzfeld, voire, pour les passéistes en enfourchant un Vélocipède avec Alphonse Allais.

Côté scènes, depuis plusieurs saisons, Frédéric Ferrer, en partenariat avec La Villette, poursuit son projet Olympicorama où il invite à partager ses conférences scéniques avec des personnalités du monde du sport ainsi que des championnes et champions olympiques. Et voici donc que Cédric Orain, metteur en scène qui s’est fait connaître en signant un fameux D comme Deleuze, foule la cendrée du stade et des routes de France et d’ailleurs en signant Corps Premiers.

D’emblée, il prend de la hauteur en s’attachant à la figure de Richard -dit Rick-Fosbury, l’inventeur américain, dans le monde corseté du saut en hauteur (alors dominé par les Russes), du révolutionnaire Fosbury flop. L’homme passa d’abord pour un rigolo ou mieux un original avant de clouer le bec à la fédération américaine d’athlétisme, en franchisant des hauteurs qui lui valurent méfiance puis considération jusqu’à son triomphe aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Dix ans plus tard, c’ en était fini du saut ventral que pratiquait son rival le russe Valery Brumel.

Cédric Orain va ainsi passer d’histoire en histoire.

Voici, sans transition, celle qu’Antoine Blondin avait surnommé Cendrillon, Colette Besson. Championne Olympique du 400 m à Mexico. Elle avait été s’entraîner quatre mois durant à Fon Romeu avec son entraîneur de mari et sous les regards circonspects de sa fédération, à une époque où l’entraînement en altitude en était à ses balbutiements. La championne raconte sa course fabuleuse, cinquième avant le dernier virage et remontant une à une ses adversaires jusqu’à gagner sur le fil. Cendrillon peut enfin aller au bal.

Une histoire chasse l’autre Après le 100 mètres plat et la fameuse barre des 10 secondes, voici le marathon longtemps interdit aux femmes jusqu’aux Jeux de Los Angeles. Il est temps de partir sur les routes du Tour, le fameux duel Anquetil-Poulidor, le « blaireau » Bernard Hinault et bien d’autres figures légendaires sont de la fête. Cédric Orain ne se contente pas de raconter, il met en mouvement et en branle ces histoires, il les chahute en réunissant trois interprètes que rien ne prédisposait à se retrouver ensemble sur un plateau.

Il y a là la jeune Aurora Didi qui, ayant dû abandonner la gymnastique rythmique suite à une blessure s’est retrouvée dans une école de cirque à Turin puis au CNAC où elle a fini par se spécialiser dans le cerceau aérien comme on peut le constater dans le spectacle. Il y a là Maxime Guyon, coureur de fond des scènes, un acteur solide, formé naguère à l’École du Nord au temps de Stuart Seide, et ayant travaillé avec des metteurs en scène de toute obédience allant de Patrick Pineau à François Cervantès. Il y a enfin là, plus surprenant et non moins captivant, Claude Degliame, actrice légendaire donc sans âge, pouvant tout jouer. La preuve. Elle joue Fosbury, elle bondit dans ce rôle, elle est Fosbury.

Corps premiers a été créé à la maison de la culture d’Amiens, nous l’avons vu au Bateau de feu de Dunkerque où il se donnait encore ce soir, il sera le 16 fév au Vivat d’Armentières, les 23 et 24 février aux lieux pluridisciplinaires de Lille, le 12 avril au Phénix de Valenciennes et du 16 au 19 avril au CDN de Reims.

Editions Esse que, 52p, 10€

Prochain Olympicorama de Frédéric Ferrer début mars à La Villette

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