C’est en tombant sur une collection de 63 lettres initialement conservées au cimetière du Père- Lachaise et aujourd’hui déposée aux archives départementales que Stéphanie Sauget, intriguée, voulu en savoir plus et aller plus loin.
Les lettres venaient de Belgique, d’Amérique, de Nouvelle Zélande, etc. Toutes faisaient référence à un testament d’une princesse russe devenue dans certains pays une riche américaine nommée Ruth Curtis : contre une somme rondelette la riche défunte souhaitait qu’une personne ( le sexe n’était pas précisé) passe un an à son chevet, elle allongée dans son cercueil de verre, le tout dans un caveau au Père-Lachaise, le cimetière le plus célèbre du monde et le plus riche en célébrités. Une liste de ces dernières est consultable à l’entrée mais n’y figure aucun cercueil de verre, aucune princesse russe, ni aucune riche américaine répondant au nom de Ruth Curtis. Canular ? Hoax ? Fake news dirait-on aujourd’hui. Qu’importe l’histoire est belle, trop belle pour ne pas être racontée.
Elle apparaît dans diverses gazettes françaises du côté de1890. Bruxelles, Berlin Vienne s’y intéressent. Elle a tôt fait de traverser l’Atlantique et paraît dans le New York tribune en 1893, puis dans le Chicago daily tribune. Elle gagne le Canada, la Nouvelle Zélande où la princesse devient comtesse et porte un nom bizarrement russe : Austrigildski. Le conservateur du Père-Lachaise reçoit lettre sur lettre de prétendants, seules 63 ont donc été conservées provenant de différents pays. Stéphanie Sauget se fait un plaisir de les explorer. Elle cite, par exemple, un terrassier et fossoyeur allemand attiré par le gain mais pas seulement : « il est vrai que je ne parle pas français mais cela ne fait rien à l’affaire : la vie dans un caveau est comme la vie d’un ermite qui s’est retiré du monde des vivants et a tout fait d’après mon désir ». La légende a persisté jusqu’à aujourd’hui et on a même trouvé un nom à la princesse : Demidoff. Un vidéo sur Dailymotion en parle. Ici ou là, on voit en elle un vampire.
Dans un chapitre, Stéphanie Sauget voir en la princesse russe et son cercueil de verre « le syndrome de Blanche-Neige ». Elle s’en explique longuement avant de bifurquer sur la conservation des corps, de traiter de l’embaumement et de la fabrication industrielle des cercueils de verre. Puis, prenant de la hauteur, fait référence à Foucault, cite Derrida, n’oublie pas Balzac (Ferragus). On ne se refuse rien lorsqu’on évoque « la nécropole des nécropoles » qu’est le cimetière du Père-Lachaise souvent imité, jamais égalé. Tout un chapitre traite de la fascination des tombeaux et des sarcophages, un autre de leur transfiguration.
Stéphanie Sauget conclut en s’interrogeant sur « le changement des sensibilités et des croyances à l’œuvre vis à vis du cadavre , mais aussi au devenir du corps après la mort ». Et va plus loin : « Que contient-il ce cercueil de verre ? On pourrait d’abord répondre qu’il contient un corps qui n’existe pas, mais vers lequel sont projetés des individus qui ont voulu obéir aux derniers souhaits de sa propriétaire aussi riche qu’anonyme. On pourrait aussi dire des rêves et des angoisses, mêlés et indémêlables ».
En annexe sont publiées plusieurs lettres envoyées au Père-Lachaise. Voici l’acte de candidature de Monsieur Henry C Titus envoyé du Michigan le 8 janvier 1894 :
« Cher Monsieur, je vous écris pour avoir quelques renseignements sur cette princesse russe qui, morte à Paris il y a cinq ans, a laissé un million pour la personne qui resterait dans la chapelle élevé sur la tombe dans laquelle elle repose. Je suis, je crois, un vaillant Américain qui peut rester là 365 jours et maintenant, veuillez m’écrire et me décrire la chapelle et me dire ce qu’il y a là qui puisse faire perdre la raison à quelqu’un. Comment est établi l’intérieur ? Prétend-on qu’il y a des fantômes dans cet endroit ? Laisse-t-on recevoir et envoyer des lettres? (...) » .
Le cercueil de verre du Père-Lachaise par Stéphanie Sauget, Éditions du CNRS, 336 p, 25€