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Au tout début de La mouette, Tchekhov écrit (traduction André Markowicz et Françoise Morvan, choisie pour le spectacle), : « Sur l’estrade, derrière le rideau baissé, se trouve Iakov et d’autres travailleurs du domaine (…) Macha et Medvédenko, rentrant de promenade , arrivent par la gauche ». Et c’est effectivement ce qui se passe au théâtre de l’Odéon . Macha (Boutaïna El Fekkak) et Medvedenko (Jean-Baptiste Anoumon) arrivent par la gauche de la salle. Elle, la fille du couple qui gère le domaine depuis longtemps, lui l ’instituteur (amoureux d’elle). Ils se tiennent là, devant le rideau de fer baissé, bientôt suivis par le jeune Treplev (Jules Sagot) dont la pièce va être jouée là, derrière le rideau de fer. Lui-même suivi par le vieux Sorine (Jean-Philippe Vidal), propriétaire du domaine près d’un lac où tout se passe. Sorine est frère aîné de la mère de Treplev, l’ actrice Arkadina (Chloé Réjon) célèbre, vivant habituellement à Moscou, star d’un vieux théâtre russe que son fils critique auprès de Sorine : « Il faut des formes nouvelles » lui dit-il.
C’est ce qu’a voulu faire Treplev en écrivant la pièce que l’on va voir et qui sera interprétée par la jeune Nina (Eve Pereur) qui rêve d’être comédienne et dont la famille habite de l’autre côté du lac. Treplev est amoureux d’elle, c’est pour elle qu’il a écrit la pièce, et la voici qui arrive tout émoustillée par la présence annoncée de Trigorine (Denis Eyriey), un écrivain reconnu dont Tréplev n’aime guère l’écriture et d’autant moins qu’il est le compagnon de sa mère.
Nina va jouer mais elle ne comprend pas ce qu’elle doit jouer, dit-elle à l’auteur Treplev : « il n’y pas de personnages vivants », « il y a peu d’action, c’est juste un texte à dire ». Arrivent les autres : le médecin Dorn (Sharif Andoura), Paulina (Lamya Regragui Muzio), l'épouse de Chamaïev (Thierry Paret), l’intendant du domaine. Et enfin Arkadina et Trigorine. Tout le monde est là. Le spectacle peut commencer.
Alors le rideau de fer du Théâtre de l’Odéon se lève et apparaît un paysage désolé de vieux cailloux épars, un reste de barque, un espace peu avenant voire lugubre, le décor de la pièce de Treplev vu par Braunschweig qui diffère sensiblement de celui décrit par Tchekhov. Nina apparaît en habits blancs (comme l’écrit Tchekhov) semblables à ceux d’un cosmonaute (ce que propose Braunschweig). Elle s’équipe de deux crochets et la voici qui monte dans les airs et là -haut, suspendue dans le vide, et continue à dire le texte post apocalyptique de l’auteur Treplev : « Voici déjà des milliers que la terre ne porte plus un seul être vivant (..) Les corps des être vivants ne sont plus que poussière, la matière éternelle les as changé en pierre... ».
Arkadina juge le spectacle de son fils « décadent » ; Treplev interrompt la représentation. Bientôt Tchekhov va entraîner ses personnages dans un jardin, puis un salon et la salle à manger du domaine. Mais Braunschweig voit les choses autrement. Sa Mouette va camper jusqu’à la fin dans le décor gris et désolé de la pièce de Treplev, comme un cimetière du futur. C'est tout juste si, un peu plus tard, on apportera ici un lit (pour le vieux Sorine), là une table (pour Tréplev et son travail d’écrivain). Le jeu intérieur/extérieur si cher aux pièces de Tchekhov disparaît pour un no man’s land terne et grisâtre où les corps semblent souvent comme en survie.
Plus tard, quand Treplev tuera une mouette et l’apportera aux pieds de Nina ( devenue actrice, elle se prendra plus tard pour une mouette). Ce geste sera bientôt suivi un peu plus tard par une nuée de mouettes empaillées descendant des cintres qui resteront suspendues jusqu’à la fin du spectacle. Lourd symbole mais de quoi, de qui ? Cette seconde fausse bonne idée après celle du décor de la pièce de Treplev devenant celui de La mouette, plombe tout : l’espace, les rapports entre les personnages, et, encore une fois, le jeu entre l’intérieur et l’extérieur si présent dans la pièce. De plus, la pièce perd son ancrage russe, ce qui serait secondaire si on ne venait pas y bredouiller des débuts de chansons françaises comme « Avec le temps... » de Léo Ferré. Histoire de souligner ce qui l’est déjà. C’est lourd, insistant, pesant.
Malgré tous ces obstacles et ces adversités, Tchekhov est comme un cycliste qui, dans un col, est lâché à cause d’une chute, mais revient au train, recolle au peloton d’échappés à quelques centaines de mètres du sommet, et finit par gagner de justesse au sprint. C’est un peu ce qui arrive in extremis dans ce spectacle, dont il faut louer, dans son ensemble malgré quelques faiblesses, la qualité de l’ interprétation.
Théâtre de l’Odéon -6eme, jusqu’au 22 décembre.
A lire "Au loin la liberté, essai su Tchekhov" par Jacques Rancière. Une promenade dans ses nouvelles, un délice. Editions La Fabrique, 116p, 13€