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Mieux vaut être deux pour parler du silence. Seul, il suffit de se taire pour entendre le silence, y penser, l’écouter, voire l’interpeler ( que veux-tu me dire ? Pourquoi ne dis-tu rien?). Oui, mais sans rien dire, comment en faire part ? Comment partager ? C’est ainsi que le metteur en scène français Cédric Orain (on se souvient de son fameux D comme Deleuze) a croisé dans une rue de Lisbonne l’acteur et metteur en scène portugais Guilherme Gomes, fondateur du Teatro da cidade en 2015 avec des amis.
Quand un homme de théâtre français rencontre un homologue portugais à Lisbonne le plus souvent, il lui demande (outre un endroit où bien bouffer) où peut-on voir la malle de Fernando Pessoa ? .Le Portugais qui a lu et relu Le livre de l’intranquillité botte en touche en proposant d’aller boire un verre et, après quelques verres, à renfort de tapes dans le dos, les deux en conviennent : « il faut faire quelque chose ensemble » . Aucun des deux ne parlant bien la langue de l’autre, la conversation a généralement lieu en anglais, langue que les deux interlocuteurs font mine de parler couramment. Et c’est donc en anglais que Cédric et Guilherme ont décidé d’écrire une pièce ensemble mais chacun dans sa langue. Oui, mais une pièce qui parle de quoi ? Là, chacun a réfléchi sans rien dire. Le silence allait devenir pesant quand l’idée commune a jailli : « écrivons une pièce sur le silence ! » .
« Nous avons besoin de silence pour faire naître une pensée qui va ensuite se développer, se construire dans et avec le langage. On pourrait dire que c’est dans le silence que toute pensée se fonde » a développé le Français. « Le silence comme véhicule pour un dialogue plus approfondi, bien au-delà des paroles anticipées ou préconçues. En même temps, le silence est finalement le compagnon de tous les spectacles et de toutes les énigmes à résoudre » a poursuivi le Portugais. Alors ils se sont mis au travail et les répétitions en français et en portugais ont commencé avec des acteurs portugais dont Guilherme Gomes en personne
Dans leurs travaux d’approche, ils sont allé à la source du langage là où se niche le silence, là où commence son empire lequel, souvent violé, cependant demeurant inviolable car infini (surtout la nuit dans les déserts). Comme c’était à prévoir, le mystère du silence a volé la vedette au langage, ce bavard, et laissé les deux amis bouche bée. Obstinés randonneurs de l’infini, pour mieux y voir clair, ils ont alors emprunté en moyenne montagne les sentiers balisés de l’ethnologie. Pour la route, Cédric avait emporté des barres chocolatées : plusieurs textes de Pascal Quignard dont La Frontière et, en cas de fringale, Le silence de Nathalie Sarraute. Curieusement, les deux compères ne mentionnent pas Le silence , ce bel ouvrage de John Cage. Sans doute parce qu’alors ils ont eu une autre idée (c’est mentionné dans le programme sinon je n’en aurais rien su) : l’art de l’azulejo. « Nous ne pouvons pas donner de voix à des figures muettes, prises dans des carrés de céramique raconte Guiherme, cependant est-ce peut-être dans ce puzzle, dans ce tracé fragile du peintre, dans l’espoir de confection d’une pièce, que se trouve la clé d’un spectacle sur le silence ». Ah, c’était donc ça ! J’ai demandé Cédric et Guilherme s’ils avaient un double de cette clef. Le mot double les a fait rigoler. Alors, ils sont partis, sans rien dire, parlant silencieusement du silence en quelque sorte. Esseulé, je suis resté songeur à la porte de leur Silêncio..
Théâtre de la tempête (Cartoucherie) , du mar au sam 20h30, dim 16h30, jusqu’au 24 octobre.