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Mina Kavani est une actrice iranienne formée à l’École d’art dramatique de Téhéran. Depuis l’enfance, elle baigne dans le théâtre. Son oncle Ali Raffi est un metteur en scène renommé et l’a fait débuter à l’âge de seize au Théâtre de la ville de Téhéran. On la remarque, on la voit dans plusieurs spectacles et plusieurs films. A 22 ans, elle vient à Paris pour parfaire sa formation. Reçue au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique, elle fut l’élève de ce grand professeur et acteur qu’est Jean-Damien Barbin, entre 2010 et 2012.
Tout semblait aller pour le mieux mais c’est là que son destin se noua malgré elle : parce que dans l’un des films iraniens, elle apparaissait déshabillée, la sanction des mollahs de son pays natal fut brutale : interdiction de revenir en Iran. Née là-bas, elle vit donc ici, en exil. On a pu la voir dans plusieurs spectacles, on l’a vue et on la verra encore dans Forteresses (1) le beau spectacle de Gurshad Shaman, elle a également tourné avec le grand cinéaste iranien Jafar Panahi dans Aucun ours prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2022.
Ces dernières années, en particulier lors d’un résidence à Montevideo (Marseille), elle travaillait à un spectacle dont elle a choisi d’écrire le titre dans une langue autre (ni le farsi, ni le français) et qui traduit bien son état : I’m deranged. Et c’est ce spectacle qui vient d’être créé. « Je suis un mort qui chemine, enregistré nulle part » commence t-elle, elle femme vivante et actrice vibrante dérivant « entre toutes les langues ».
Seule sur scène, elle est adossée à un décor miroir (Clémence Kazemi). La musique du compositeur iranien Siavash Amini, filtre ses phrases lesquelles nous arrivent par vagues en français « ma langue de l’âme » et loin au fond (comme on parle du fond d’un tableau), l’ombre du farsi « la langue d’origine ». Souvent son regard porte loin, vers un opaque ailleurs. « Je voudrais juste trouver mon chemin » dit Mina Kavani. Elle est l’éperdue, l’égarée. Elle ne se souvient de rien mais lui revient d’un coup le regard plein de tristesse de son chien lorsqu’à l’aéroport de Téhéran, elle prit l’avion pour un voyage qu’elle n’imaginait pas sans retour mais, cependant, elle en eut l’intuition, là, en regardant son chien.
Alors, faute de pouvoir s’y promener, elle nous raconte Téhéran, sa vie d’avant. Comment à 7 ans , elle ne pouvait pas aller à l’école sans porter le voile, comment on traquait chez les filles toute trace d’occidentalisation, et comment, à la maison, tout cela s’inversait jusqu’à l’excès. « Une vie schizophrène ». Puis, dans un beau mouvement de balancier, elle nous raconte sa vie à Paris, sa vie de « femme aux cheveux libres » mais tout autant de « déracinée ». Et la voilà repartie, une fois encore, à Téhéran dans les fumées de l’opium… Un lancinant balancement. « Je vivais à Téhéran avec mes rêves, je vis à Paris avec mes souvenirs ». Elle voulait être « juste une femme » et « cette femme voulait être actrice ». Elle l’est, pleinement, doublement, merveilleusement.
Dédions cet article à la mémoire du cinéaste iranien Dariush Mehrjui et à son épouse, assassinés à Téhéran, dans la nuit du 14 au 15 octobre.
Théâtre de l’Athénée, grande salle, 20h, du 22 au 25 janvier
(1)3 Dé-rangée" de Mina Kavani, sous titré "L'exil au bord des lèvres", vient de paraître aux éditions du Faubourg, 120p, 15€