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« Je m’appelle K et ceci est mon livre » est-il dit au début du prologue. K comme K le héros du Procès, du Château et de quelques autres textes de Kafka. K Comme Kafka lui-même. K comme le nom de la compagnie que dirige Simon Falguières et dont il signe tous les textes et donc Le livre de K. Falguières est un écrivain jardinier. Il aime les vieilles souches et les jeunes pousses, il regarde avec attendrissement une pomme de terre oubliée dans un panier en train de germer, il aime faire bouquet de tout ce qui passe entre ses mains ou sous sa fenêtre. K, son héros, est un écrivain de 36 ans (Falguières en presque dix de moins, Kafka en avait sept de plus lorsqu’il est mort) qui vit ses derniers instants. Il aime que des inconnus se rencontrent sur un banc public.
Et c’est ainsi que commence la pièce de K par une rencontre, celle d’une jeune femme Hanna assise sur un banc près d’un port, avec Sandor un marin qui, à la nuit tombante, s’assoit près d’elle. Il n’est pas un as de la parole, « moi Sandor » dit-il. Elle lui répond en écrivant son nom : « Hanna » car elle est sourde et muette, et parle avec la langue des signes laquelle va occuper une place non négligeable dans Le livre de K.
Un an passe après cette première rencontre, Hanna , enceinte de Sandor, met au monde deux jumeaux, Un fille Alma et un garçon Mathéo. Six ans de bonheur plus tard, Sandor doit reprendre la mer une fois de plus, et pour longtemps, Alma est alors enceinte d’ Esther. Ses trois enfants sont bien entendants, la plus fragile, Esther va s’émanciper dans sa passion pour le piano dont elle joue avec une facilité déconcertante. Sa sœur Alma, elle, va trouver sa voie du côté de l’écriture, un ange lui offre papier et encre, sous le plancher de leur maison elle trouve les livres qui appartenaient à une écrivaine qui habitait les lieux avant eux, elle les lit tous et se met, à son tour, à écrire. Mathéo, le seul garçon, se pose en frère aîné ce qu’il n’est pas, il va vite se placer sous la coupe du maître autoritaire du château, « un homme a un œil » et devenir son bras droit.
Sandor, parti sur un bateau pour travailler, disparaît. Mort noyé ? On ne sait. Hanna élève seule ses trois enfants dans ce pays souvent enneigé et une bourgade dominée par le château. Premier accroc : Alma aime lire et écrire la nuit, mais le maître du château veut que les dernières lumières soient éteintes le soir. Alma proteste, Mathéo prend le parti de son patron et finira par enterrer dans le jardin le livre que sa sœur écrit nuitamment. Cependant un corbeau, oiseau de bien des légendes, montre à Alma où est enterré son manuscrit .« C’est un grand miroir brisé de ce monde enneigé dans lequel elle [Alma] vit. L’homme à un œil y occupe une place central » dit K, bien placé pour le dire.
C’est alors qu’apparaît un nouveau personnage, Imre, un fou et un fou de théâtre qui, aux dires de K et comme lui, écrit des « fragments qui se succèdent sans être véritablement reliés ». Mathéo met la main sur le livre de sa sœur, devant elle, il le brûle, elle lui dit « Tu sais, mon frère, que je te pardonnerai toujours », la suite le prouvera. La porte du poêle est restée ouverte, le vent s’engouffre, le feu se propage, Mathéo est blessé, Esther entraîne son frère dehors… C’est la fin de l’acte un , trois autres suivront. N’en disons rien ou presque.
Au début de l’acte II, on se retrouve à nouveau dans la chambre où se meurt K, apparaît un nouveau et magnifique personnage, Frieda, au nom emprunté par Falguières a un personnage du Château de Kafka, livre avec lequel Falguières entretient un intense et bouleversant dialogue à travers cette pièce.
L’Ange viendra chercher Sandor au fond de la mer, Imre revêtira son costume de fou et mettra le feu , le Gloucester de Shakespeare viendra faire un tour de piste. Ce n’est qu’après l’entracte qu’on entrera chez une autrice adulée par K et Falguières, la poétesse russe Anna Akhmatova détestée et entravée par le pouvoir stalinien et dont les amis apprenaient par cœur les poèmes qu’elle vient d’écrire pour ne pas qu’ils disparaissent dans les oubliettes du KGB . Dans Le livre de K, Frieda, la belle amante, dans le rôle de la poétesse d’antan, sera poussée violemment dans les escalier du château. Devenue mendiante et solitaire, Alma écrira « un poème chaque jour » à l’image de l’écrivain russe Olecha dont la devise était « pas un jour sans un ligne ». Et Sandor, plus tard reviendra...
La pièce avance ainsi par foucades. Ce qui est beau dans tous ces personnages , c’est leur humanité complexe, même l’homme du château, ce monstre, ce tyran, sait nous prendre à revers. Tous, au coin d’une réplique, d’un geste nous étonnent, savent nous duper pour mieux nous amadouer. On les croit inflexibles, ils sont désarmants de sensibilité et inversement. Quant à K et Falguières, il font merveilleusement la paire.
Le metteur en scène a eu à cœur de réunir une jeune et belle distribution merveilleusement équilibrée, retrouvant plusieurs actrices et acteurs de ses précédents spectacles: Florence Banks en alternance avec Pia Lagrange (Esther) , Rosa-Victoire Boutterin (Alma), Mathilde Charbonneaux (la comédienne) Lomane de Dietrich (Frieda, la poétesse), Simon Falguières, Karine Feuillebois (Hanna), Myriam Fichter (K), Charly Fournier (l’homme à un œil), Liza Alegria Ndikita (l’ange) , Stanislas Perrin(Sandor Mathias Zakhar (Mathéo ). Un bel ensemble. Falguières signe une efficace et souple scénographie en complicité avec Emmanuel Clolus qui laisse des trouées d’air sur le grand plateau où les lumières de Léandre Ganz, les musiques d’Hyppolyte Leblanc et les costumes de Lucile Charvet font merveille. Enfin Katia Abbou et Vincent Bexiga assurent la dramaturgie de la LSF basse continue du spectacle.
ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie jusqu’au 19 novembre, tournée en construction.