Très jeune Nadia Vonderheyden frappa à la bonne porte : celle des ateliers Didier-Georges Gabily au Mans,, creuset groupe T’chanG . Elle y côtoya ceux qui allaient devenir de fidèles amis comme Jean-François Sivadier, Nicolas Boucaud ou Catherine Baugué. La mort brutale de Gabily les dispersa provisoirement.

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Nadia Vonderheyden fut actrice dans les premiers et magnifiques spectacles de Stéphane Braunschweig à la heure de la trilogue des Hommes de neige. Elle allait ensuite entamer un long compagnonnage avec le Théâtre radeau de François Tanguy : elle est dans la distribution du Chant du bouc (1991), Choral (1993) et La bataille de Tagliamento (1996). Puis, dans les années 200, elle retrouve les anciens du groupe T’chanG », début d’une longue complicité avec Jean-François Sivadier devenu metteur en scène et l’acteur Nicolas Bouchaud. Elle est dans la distribution d’Italienne, avec orchestre , Une vie de Galilée, Le roi Lear , la Dame de chez Maxim’s , Le mariage de Figaro et Un ennemi du peuple . Autant d’occasions de montrer l’étendue de son registre allant de la maîtrise subtile du corps aux inflexions modulées du phrasé qui l’ancraient à la scène avec souplesse et détermination, ou encore sa façon si particulière de lancer les mots comme si elles caressait avant de les dire. Il y avait chez Nadia, une jubilation solaire, parfois sombre à servir des belles pièces, son énergie était communicative.
Parallèlement, elle signa de trop rares mises en scène souvent à partir de travaux avec les élèves des écoles (Rennes, Cannes) et c’est dans ce cadre qu’elle se lança dans une nouvelle mise en scène de ce chef d’œuvre de Gabily qu’est Gibiers du temps qui aurait dû être programmée au festival d’Avignon l’année du son annulation. Elle mit aussi en scène, brillamment, La fausse suivante, se plaçant résolument du côté du jeune Marivaux (comme on dit le jeune Brecht) avec la part d’effronterie que cela recèle. Marivaux avait écrit cette pièce pour les acteurs de la Comédie italienne bien plus alertes et doués pour l’improvisation que les Comédiens français de l’époque. Nadia Vonderheyden inscrit la pièce dans une ambiance de carnaval avec masques, serpentins et une musique répétitive qui parfume l’air de sensualité. Un carnaval sans âge, d’hier comme d’aujourd’hui : le seul présent du spectacle est celui de la représentation. Laquelle est structurée comme une soirée boxe, des saynètes visuelles et sonores tenant lieu de minute de repos. Entre deux rounds de mots où l’on rend mot pour mot. Chacun des rounds marquant des points du côté de la perversité.
Et puis il y eut ce compagnonnage qui lui tenait à cœur avec l’écriture de Danielle Collobert suite à la parution de ses œuvres chez POL. Elle fit le montage et signa la mise en scène de S’en sortir où Nadia retrouva des actrices et des acteurs aimés comme Catherine Baugué , Eric Louis et Frédéric Leidgens.. Le jour où je suis descendu à la MC2 de Grenoble voir S‘en sortir elle avait préparé un couscous pour l’équipe. Au retour , j’écrivis ceci :
« C’est en regardant les mains de Nadia Vonderheyden aérer la semoule du couscous qu’elle avait préparé pour toute son équipe et celle du théâtre, que je me suis laissé aller à penser qu’une des portes secrètes de son amitié de fait avec Danielle Collobert et son œuvre avait été l’Algérie. Nadia y est née, sa première langue fut l’arabe, tout fut oublié lorsqu’elle se retrouva en France à l’âge de 6 ans. Collobert, elle, s’engagea dans un réseau d’aide au FLN durant la guerre d’Algérie. Recherchée, elle partit vivre en Italie (petit clin d’œil filmé dans le spectacle).
La seconde porte secrète, c’est la voix de Nadia Vonderheyden. Étrange voix comme enrouée d’elle-même dans un lit de cendres et de miel mêlés, passant instantanément de couleurs claires et liquides à d’intenses obscurités terreuses comme si sa gorge était un chaudron où cohabitaient des contraires sans jamais se fondre. Exactement comme le chaudron du couscous qu’elle avait préparé toute la journée où chaque légume gardait sa personnalité tout en faisant corps avec les autres. Et on peut filer cette nourrissante métaphore jusqu’au bloc d’acteurs : sur le plateau, chacun garde sa personnalité d’acteur, son phrasé, mais c’est ensemble qu’ils donnent du goût au bouillon de l’écriture si particulière et si solitaire de Danielle Collobert.
La troisième porte secrète, c’est la présence de Nadia Vonderheyden sur un plateau. Elle nous vient de loin, peut-être d’avoir été longtemps timide et repliée sur des incertitudes. Comme exilée d’elle-même. Aujourd’hui quand elle entre (volontiers à la dérobée) sur un plateau de théâtre, c’est une reine mais comme par mégarde, il reste dans ses yeux, aux étonnements keatoniens, comme un pointe d’affolement d’être, et un reste de doute : suis-je bien à ma place ici ? Elle l’est. Elle n’a pas besoin de bouger, elle est là, rayonnante. Elle est chez elle. Là sur un plateau, rien d’hostile ne peut lui arriver.
Il y a un moment où, assise sur le bord gauche de la scène, elle s’adosse au mur du théâtre et regarde ses acteurs. Non avec l’œil inquisiteur d’un metteur en scène hyper-directif, mais avec celui de l’employée du théâtre qui serait venue là sur scène passer la serpillière et se serait attardée sur le bas-côté pour regarder les acteurs lancer les mots de l’auteur ».
Nadia Vonderheyden n’était jamais aussi bien dans sa peau que sur un plateau. Adieu Nadia.