
Au fond de la scène un mur de postes de télévisions, métaphore possible de bien des choses. On peut y voir un écho ironique au Mur de Berlin mais aussi une référence aux murs invisibles de la désinformation aveuglants les canaux des chaînes de télévision des pays autoritaires et pas seulement ( slogan de mai 68 « la télévision ment », en vogue ces jours-ci à Moscou, in petto). Le Portugais André Amálio commence par raconter sa propre histoire. Enfant, il est fasciné par les champions d’échecs qui viennent de l’est et d’abord de Russie. Des combats de géant. Lui-même, comme son frère, devient champion d’échecs du Portugal ce qui lui vaut d’aller pour la première fois à l’est, deux ans après la chute du mur.: « nous, nous avions vécu 48 ans de dictature fasciste, 500 ans de colonialisme portugais...mais quand je suis arrivé à l’Est, ce que j’ai vu, ce sont des personnes grises, des personnes qui ne souriaient pas dans le métro, ni dans les restaurants, ni dans la rue ».
Dix ans plus tard , lors d’un autre voyage à l’est, il tombe amoureux d’une artiste tchèque Tereza Havličková, et des années encore plus tard c’est avec elle qu’il signe ce spectacle. A cette histoire se mêlent tout de suite une autre histoire, celle de José Serra dont le père Jaime, souvent emprisonné dans son pays sous un régime dictatorial, dirigeait le parti communiste portugais clandestin.Pour le protéger, il envoie son fils de sept ans à Moscou, etc ; et voici que se greffe une autre histoire, celle d’un groupe d’exilés portugais à Prague , (à l’époque laa ville de l’est la plus facile à atteindre par train depuis Lisbonne via Paris ) ; mais encore l’histoire de Manueola Sambo qui vient des colonies africaines du Portugal et sa retrouve à Leipzig, en ex Allemagne de l’est. Etc.
Le spectacle,fruit de multiples témoignages ici entrecroisés, enchaîne ainsi des fragments de parcours de vies individuels qui sont souvent aussi celles des acteurs. On passe d’une bout de confession à un autre bout entrecoupés de scènes collectives dont la première met en scène un cours d’allemand pour exilés portugais venant d’arriver à Leipzig après la chute du mur mais avant le chute de la dictature au Portugal.
Quand ils se rencontrent le Portugais André Amálio vit dans son pays sous une dictature et la tchèque Tereza Havličková vit, elle, dans un pays dont les espoirs démocratiques du « printemps de Prague » viennent d’être écrasés par les troupes soviétiques. Leur définition du communisme les oppose : pour lui cela voulait dire « résistance, combat pour la liberté et contre l’oppression » , pour celle « le communisme voulait dire oppression, occupation militaire, manque de liberté ». Ces visions sont éclairées par d’autres comme celles de Mbalango dont le frère et l’oncle sont partis du Mozambique pour aller étudier en RDA, Jorge, fils de militants communistes, parti faire ses études à Moscou en 1990 avec une bourse payée par le Soviétiques. Etc. S’en suit des histoires d’amours contrariées en RDA, un racisme anti noir assez palpable hier comme aujourd’hui à l’Est, une exploitation des ouvriers venus des colonies qui on promet de payer leur solde au retour au pays et qui ne toucheront rien et n’ont toujours rien touché.
Si le spectacle est fait de témoignages recueillis, et uniquement de témoignages, il est aussi agrémenté de scènes collectives festives (danses, gymnastique collective, défilé) inventée à partir de situations réelles comme cette réjouissante danse des bananes. La banane était une denrée rare à l’est avant la chute du mur et l’éclatement de l’URSS. Quand il y avait miraculeusement un arrivage, une fuite de l’information provoquait immédiatement une queue devant la boutique généralement étatique. Dès que l’on voyait une queue on se mettait dedans et ensuite on demandai taux autres pourquoi ils faisaient la queue. Et parfois c’était vraiment pour des bananes. Et parfois aussi, dans ces queues naissaient des « eastern loves» comme le dit le titre de spectacle.
Béatrice (l’un des actrices, allemande) vivait dans l’Allemagne de l’est, la RDA. La chute du mur a permis à son grand-père de venir voir ses sœurs. « La seule chose que j’ai rapporté de l’est, dit-elle, c’est mon carnet de santé ». Mais aussi « l ’envie de voyager et de choisir mes études. Et le fait de ne pas savoir vraiment à quel endroit j’appartiens ». Elle est devenue actrice, voyage, pense qu ’il faudra beaucoup de temps avant que l’Allemagne soit « un seul pays ». Comme ses voisins de scène Tchèques, Portugais,venus du Cap vert ou du Mozambique, elle a chambre avec vue sur le monde à l’Hôtel Europa, l’une des troupes le plus joyeusement cosmopolites d’Europe.
Eastern loves par la compagnie Hotel Europa, du 16 au 18 mai au Théâtre des Abbesses.
Le festival Passages Transfestival, se poursuit au Luxembourg à Esch-sur-Alzette (capitale européenne de la culture) du 20 au 22 mai.