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Billet de blog 16 juillet 2023

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Avignon off. De Pauline Carton à Serge Valletti, une journée de Scala

A la Scala Provence, à 10 heures du matin, pupilles battantes, assise derrière une petite table, Christine Murillo fait un carton en nous racontant la vie de l’actrice Pauline Carton. Sur le coup de 17h, ses potes Jean Claude Leguay et Daniel Martin s’apprêtent à abréger la vie de leur personnage double, un bijou fait main de Serge Valletti. Beau comme un additif au grand Baleinier.

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Christine Murillo n’ a pas encore l’âge que Pauline Carton avait lorsque cette dernière écrivit ses mémoires dans les années 1930, elle n’en pas pas non plus le physique fil de fer, qu’importe le flacon pourvu qu’elle nous enivre, et elle le fait de bout en bout, coachée par le metteur en scène Charles Tordjman qui la connaît bien pour l’avoir plusieurs fois mise en scène.

Que bien des spectateurs ignorent plus le modèle que l’actrice, n’a guère d’importance, Murillo pourrait disserter sur l’extinction des dinosaures où l’âme cachée des plantes vertes, elle nous emporterait dans sa jubilation à être en scène.

Donc « la môme Carton », toute en rondeurs et volutes. Elle sort des bricoles (dont une paire de lunettes et un carnet) d’un petit carton (forcément) et c’est partie pour une vie d’actrice qui n’avait pas un physique de top modèle avec sa « voix de canard » et son « nez en pomme de terre ». Elle tourna avec Marcel L’Herbier et bien d’autres, fut amie de Sacha Guitry qui préfaça ses mémoires dont le spectacle s’inspire. « Vous imitez la voix du facteur, le miaulement du chat, vous vous voyez « chevaux » quand vous agitez en cadence les grelots de la berline, et ce n’est pas sans volupté que vous frappez le sol avec le manche d’un balai pour simuler le bruit d’une porte qu’on claque » écrit Guitry et dit, goulûment Murillo.

La môme Carton était le nom de son premier rôle au cinéma, elle le garda comme un porte-bonheur et c’en fut un. Hormis le théâtre et le cinéma , elle n’eut qu’un amour « Janot Ier », le seul , l’unique, le poète Jean Violette. Elle refusait quoi que ce soit au moins d’août car ce mois là elle le passait « à faite l’amour » avec son poète.

Les spectateurs d’un certain âge et même d’un âge certain attendent que Murillo chante Les palétuviers, extrait d’une opérette qui fit la gloire de la Môme Carton. « Viens sans sourciller/Allons gazouiller/Sous les palétuviers » lançait son partenaire. A quoi elle répondait «Ah ! Sous les papa papa/ Sous les pa, les létu/ Sous les palétuviers.. ». Murillo enchaîne tout, explose, une bombe.

Illustration 1
Scène de "Cahin Caha" © Pascal Gély

Tout autre ambiance dans le même lieu, en milieu d’après midi, avec ces deux acteurs complices que sont Daniel Martin et Jean-CLaude Leguay qui interprètent Cahin Caha de Serge Valletti. Début fracassant :

« CAHA. Alors ?

CAHIN- Alors quoi ?

CAHA- Comment on commence ?

CAHIN- Comme d’habitude.. »

Serge Valletti raconte avoir voulu écrire ce texte pour un acteur « comme une sorte de voix intérieure qui à la fois pose les questions et fait les réponses ». Elle est souvent jouée avec deux acteurs ou actrices comme deux faces (solaire/lunaire, optimiste/pessimiste) d’un même être. « En fait ce que j’ai essayé de faire c’est de rendre visible ce qui nous fait avancer chacun tous les

jours. Les pensées qui nous habitent, qui nous aident ou bien nous freinent. Tout ce qui nous

empêche d’être ce que nous sommes vraiment : des humains qui se demandent comment faire

pour vivre en étant en accord avec soi-même. ». Les deux personnages veulent en finir. Mais qui va tuer l’autre ? Et à quoi bon ? On dirait du Beckett, mais du Beckett revu et corrigé par un comique troupier marseillais. Rien d’étonnant pour un auteur connu pour avoir jeté sa grand-père dans le port de Marseille

Et l’auteur d’ajouter : « J’ai l’impression que j’ai écrit surtout une partition à deux voix, pour deux instrumentistes qui seraient leur propre instrument. Et que rêver de mieux pour mon texte Cahin-Caha que d’imaginer que ce sont les deux grands interprètes Daniel Martin et Jean-Claude Leguay qui vont s’emparer de lui ». L'auteur a raison ; ils font la paire.

L’un plus noir que l’autre, les deux précis dans leurs gestes, leur phrasé e leur ton, comme deux cuivres d’un orchestre, d’ailleurs tout finit en musique.

Ajoutons une petite gâterie pour la route.

Murillo, Leguay et un troisième acolyte, Grégoire Oestermann, sont les co-auteurs du fameux Baleiner sous-titré " Le dictionnaire des tracas", en particulier, mais pas seulement, les tracas dont sont victimes les comédiens lors des tournées. Et c’est d’ailleurs en tournée que le projet est né. Ils en ont fait un premier volume, et devant le succès un second puis un troisième et même un quatrième. Le tout est aujourd’hui réuni en un volume poche dans la collection Points au Seuil. Un régal, jamais assouvi.

Qu’est qu’une liottée ? « Le dernier verre que le patron vous offre au moment où vous vous décidez à partir ». Qu’est qu’un louston ? « Un cadeau déjà empaqueté dont on ne sait plus ce qu’il y a dedans ». Il y a en a des centaines comme ça et j’ai pris au hasard deux exemples de la lettre L. Un petit tour côté théâtre pour la route . Qu’est qu’un brage ? « Un partenaire déjà prêt à la première répétition ». Qu’est-ce qu’un brâge ? « Un partenaire qui, à la centième représentation n’ a pas changé d’intonations depuis la première répétition où il était déjà prêt ». Un persistant régal.

Festival off à la Scala Provence Pauline & Carton à 10h15 sf lundi, le texte est publié aux Editions Sur la scène de Triartis. Cahin Caha à 17h30,sf lundi, le texte est publié aux Éditions de l’Atalante.

Le Baleinier, dictionnaire des tracas, par Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Oestermann, poche Points, 288p, 7,80€

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