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Billet de blog 17 novembre 2023

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Serge Valletti et Robin Renucci font « A la paix !»

Sous le titre « A la paix ! », Robin Renucci et Serge Valletti cosignent une nouvelle version on ne peut plus marseillaise de la pièce d’Aristophane. Spectacle inaugural du nouveau directeur de la Criée qui, à un moment, convie son public à monter sur scène

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Illustration 1
Scène de "A la paix!" © Christophe Renaud de Lage

« Il est juste que le dramaturge se serve/ De tous les mirages qu’il a à sa disposition/ Comme faisait Morgane sur le Mont-Gibel/ Il est juste qu’il fasse parler les foules les objets inanimés/ S’il lui plaît/ Et qu‘il ne prenne pas plus compte du temps / Que de l’espace / Son univers est sa pièce/ A l’intérieur de laquelle il est le dieu créateur/ Qui dispose à son gré/ Les sons les gestes les démarches les masses les couleurs/ Non pas dans le seul but/ De photographier ce que l’on appelle une tranche de vie/ Mais pour faire surgir la vie même/ Dans toute sa vérité/ Car la pièce doit être un univers complet/ Avec son créateur/ C’est à dire la nature même/ Et non pas seulement/ La représentation d’un petite morceau / De ce qui nous entoure ou de ce qui s’est jadis passé »

Ces lignes de Guillaume Apollinaire en marge de sa pièce les Mamelles de Tirésias, Antoine Vitez les avait mis en exergue du « Printemps à Ivry » en 1979, une manifestation propulsée par le Théâtre des Quartiers d’Ivry, créé sept ans plus tôt.

Ce fut un beau Printemps. On découvrait La famille Deschiens tout juste balbutiante de Jérôme Deschamps, Vitez mettait en scène La rencontre de Georges Pompidou et Mao Zedong et La ballade de mister Punch, Bérangère Bonvoisin se vouait à Eddy. Et, avec Jacqueline Darrigade, Serge Valletti proposait quatre duos : Just Hamlet, Au-delà du Rio, Bravo and Son, et Neuf de Lynch. La mémoire du téléphone portable de Serge Valletti s’en souvient encore, plus de quarante ans après, attablé à Marseille au bar du Théâtre de la Criée où se donne A la paix !, une libre adaptation de la pièce d’Aristophane par Serge Valletti et Robin Renucci, le nouveau directeur de la Criée et metteur en scène du spectacle faisant souvent salle comble depuis sa création le 8 novembre.

Les guerres n‘en finissant pas de « défrayer l’actualité », la pièce d’Aristophane n’en finit pas de revenir. Ce fut le cas au début des années 60, en pleine guerre d’Algérie, dans des mises en scène signées Jean Vilar et Hubert Gignoux, puis au moment de la guerre du Golfe ce fut au tour de Marcel Maréchal, et aujourd’hui, au moment, entre autres, de la guerre en Ukraine, Renucci et Valletti s’y collent sans pour autant coller à l’actualité planétaire mais en marseillisant la pièce.

A peine nommé à la direction de la Criée, Renucci avait contacté le Marseillais de souche Valletti : pour le premier spectacle de son mandat, il souhaitait mettre en scène A la paix ! de Valletti, sa traduction-adaptation de la pièce d’Aristophane publiée quelques années auparavant dans l’un des volumes de Toutaristophane ( éditions l‘Atalante), réunissant toutes les pièces qui nous sont parvenues d’Aristophane. Mais il souhaitait adapter la pièce. Cela tombait bien car Valletti s’était rendu compte, bien après avoir écrit sa version, qu’Aristophane avait, en fait, écrit deux versions, que la postérité les avaient été mêlées et c’est pourquoi, à ses yeux, « le cœur de la pièce était confus, truffé de redites qui ralentissent l’action ». Bref il lui fallait corriger sa copie.

Cela tombait d’autant mieux à pic, car Renucci voulait féminiser la pièce (elle ne comportait que des rôles d’hommes), replacer «l’ action principale dans notre actualité », développer « le versant écologique » et « surtout » accentuer « le côté provençal et marseillais », offrant ainsi un boulevard au marseillais Valletti qui n’avait « jamais osé pousser aussi loin les référence à (s)a ville natale ». Bref, cosigné par Renucci et Valletti A la paix ! est un hymne aux Marseillais. « Ce qui compte pour moi, c’est d’avoir à la fois une trame très réaliste, dans la Provence d’aujourd’hui, de restituer une thématique hellénistique de la citoyenneté de la paix : qu’est ce qu’on fait pour vivre ensemble ? Quels sont les outils de la paix ? C’est cette convivialité qui m’importe » écrit Renucci.

Scéniquement, cela conduit Valletti & Renucci à mettre le parler marseillais et ses figures à l’honneur (rap de IAM à l’appui), à mettre ainsi le public de son côté allant jusqu’à l‘inviter à monter sur la scène et à y rester. « Démagogique » diront certains, mais non, « follement festif » répondra le public de la Criée.

Le spectacle commence cependant mal par un jeu poussif et interminable autour d’un énorme cuve de vinification en panne. Il prend son envol quand Hermès (Alex Fondja) descend des cieux et toise le vigneron Yvres (Guillaume Pottier), lui expliquant que les dieux en ont « ras la casquette » des hommes toujours prompts à faire la guerre et qui pinaillent des jours et des nuits à l’heure de faire la paix.

Cependant au théâtre, tout s’arrange ou se complique à coups de métaphores et d’incarnations. La Paix ? La Guerre (Anne Lévy) l’a enfermée dans un trou, nous dit Hermès, la paix gît sous une dalle épaisse. Alors la Guerre, tranquille, se fait un ragoût : un peu de Talibans, une poignée de Syriens, des Slaves hachés menus, elle blanchit les Jaunes et monte les Blancs en neige, elle rajoute des Corses avec des Parisiens  car « cela va faire une chiée de problèmes », elle met des Libanais à  mijoter avec des Israéliens, elle « passe au chinois les Ouigours » et ainsi de suite.

Hermès sifflera la fin de la partie: il est temps d’aller chercher la paix au fond de son trou, bref de soulever la dalle qui l’empêche de revenir à la surface du monde. Cependant Hermès tergiverser, hésite. La paix, c’est toujours compliqué. On pinaille sur des détails, on veut des cadeaux, on ruse, on ment, on traficote. Alors Yvres le bien nommé essaie d’amadouer Hermès : « tu auras un chambre à l’année dans l’hôtel Hermès, celle avec la terrasse.Même Guediguian il fera un film sur toi. Hermès et Jeannette tu imagines ! Tu recevras la médaille de la ville ! On te verra au balcon de la mairie ! Y aura des grands défilés de camions-pizza sur la Cannebière avec ton portrait en grand ! » Sous les vivats, Hermès cède.

C’est tout le public de la Criée qui est mis à contribution pour tirer la corde qui soulèvera la dalle. La Paix restera longtemps suspendue au dessus de la tête des acteurs, qu’ils soient Dieux ou Marseillais puis descendra sur le plateau de la Criée. On la sent, la paix. On la déguste.  »Elle a le goût d’une bonne pièce de théâtre à la Criée » dit Yvres, mi populaire, mi populiste. Mais Hermès, les met en garde : la Guerre bande encore.

A la fin, le vigneron Yvres finira par se marier avec une ...dame-jeanne. Robin Renucci écrit : « Notre pièce ne prétend pas résoudre les conflits mondiaux, mais elle aspire à susciter l’esprit critique, le rire et le dialogue autour de la question cruciale :  qu’est-ce qu’on fait tous.tes ensemble ? C’est cette convivialité qui m’importe ».

Valletti & Renucci ont su user des mirages dont parle Apollinaire cité en tête de cet article.. A la paix! donc.

Théâtre de la Criée à Marseille jusqu’au 26 novembre.

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