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Billet de blog 19 octobre 2015

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On se lève pour « Soulèvement(s) »

Pourquoi, comment, à quel moment, un homme, une femme, un peuple délaissent l’apathie, la fuite dans le silence, ravalent leur peur et se soulèvent, passent aux actes ? C’est en songeant aux printemps arabes et en lisant les travaux de Sophie Wahnich sur la Révolution française que Marcel Bozonnet a eu l’idée de « Soulèvement(s) ».

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Illustration 1
© Pascal Gely

Pourquoi, comment, à quel moment, un homme, une femme, un peuple délaissent l’apathie, la fuite dans le silence, ravalent leur peur et se soulèvent, passent aux actes ? C’est en songeant aux printemps arabes et en lisant les travaux de Sophie Wahnich sur la Révolution française que Marcel Bozonnet a eu l’idée de Soulèvement(s). Une création collective dont il est l’un des acteurs avec son fidèle Richard Dubelski et l’immense Valérie Dréville qui dit-danse la révolution comme personne.

De la place Tahrir au Faubourg Saint-Marcel

Révolution ou soulèvement ? Via Michel Foucault, c’est un point que Sophie Wahnich – qui a collaboré au spectacle – analyse finement dans l’un des articles qu’elle a fait paraître dans la revue Vacarme (dont elle est une collaboratrice régulière), « Foucault saisi par la Révolution, Iran 1978, Révolution française 1792, Tunisie 2010-2014 ».

Ce brassage des temps et des espaces, tout comme le brassage du singulier au collectif sont au cœur de Soulèvement(s). Parti d’un discours de Robespierre, on a tôt fait d’arriver, via des témoignages, place Tahrir au Caire et à Tunis. On passe des révoltés de Saint-Domingue à ceux du Faubourg Saint-Marcel, quand le vendredi 20 janvier 1792, la foule prend d’assaut le grand dépôt d’un banquier (qui spéculait sur le sucre) et organise une vente sauvage du sucre au prix fixé avant la hausse artificielle. On passe aussi de Césaire à Michelet. Un texte composé par Marcel Bozonnet et Judith Ertel.

Tout le spectacle met en regard des analyses, des réflexions (Bossuet, Mirabeau  et bien d’autres) et des actes de révolte solitaire qui seront plus d’une fois la goutte d’eau nécessaire, le symbole fédérateur conduisant à l’irruption du soulèvement. Rien ne nous est épargné des souffrances multiples, allant jusqu’à l’écartèlement, réservées à l’infortuné Damiens qui le 5 janvier 1757 avait « fendu la foule et griffé d’un coup de canif le roi ». Long récit entrecoupé de témoignages de Tunisiens qui se soulèvent après que Mohammed Bouazizi a mis le feu, et pas seulement à son corps. Avant de bifurquer vers le témoignage de Jean Rossignol, ouvrier orfèvre qui, le 12 juillet 1789, un dimanche, dansait dans une guinguette et dont le nom allait figurer dans « la liste officielle des vainqueurs de la Bastille » avec d’autres bijoutiers et des collèges chapeliers, cloutiers, marbriers et tabletiers.

Du théâtre de la Cité internationale au théâtre de l’Aquarium

Les trois acteurs évoluent habillés de noir, des pieds au bas du cou, ouvriers et mécaniciens du drame. Ils évoluent dans un décor fait d’éléments composites, ici une rampe lumineuse comme un mètre de charpentier déplié, là une amorce de paravent japonais en forme de carte du monde, ailleurs deux tas de terre. Et des bidons en guise de percussions (musique Richard Dubelski).

On pense fort au constructivisme russe, à Meyerhold, à l’esthétique des spectacles d’agitprop des années 20 dont ce spectacle offensif est comme le rejeton au point d’en être, ici et là, déconcertant. En revanche, aux antipodes d’un certain théâtre qui n’a de militant que sa parole, le corps ici n’est pas un simple porte-voix, il danse le texte, le corps aussi se soulève. 

Plus encore, dans son geste et sa nature même, ce spectacle est lui-même un soulèvement. Contre la mollesse qui gagne bien des scènes où l’on programme souvent le tout-venant rassurant, plutôt que de créer le mal venu dévastateur. Contre la mollesse aussi des autorités qui laissent pourrir des dossiers comme celui du Théâtre de la Cité internationale (sans direction depuis plus d’un an malgré les pétitions, les lettres des anciennes directrices) ou celui du Théâtre de l’Aquarium dont le sort est toujours incertain (ce qui met en situation délicate son directeur, François Rancillac, qui a demandé à effectuer, comme c’est l’usage en cas de bonne gouvernance, un troisième mandat). Deux lieux qui ont écrit quelques pages de l’histoire du théâtre en France qui ne demandent qu’à en écrire d’autres. A défaut de se soulever, la moindre des choses serait que les tutelles se bougent le cul. Je songe à cette pancarte que l’on voit dans les étroites coulisses de certains théâtres : « Ne pas tirer la chasse d’eau pendant le spectacle ».

Maison des Métallos, du mar au ven 20h, sam 19h, dim 16h, jusqu’au 25 oct ;

Théâtre des arts de Cergy-Pontoise les 27 et 28 nov à 20h30 ;

Maison de la culture d’Amiens, le 1er déc à 19h30), le 2 déc à 20h30, le 3 déc à 19h30 ;

Centre Culturel Jean Gagnant à Limoges (co-accueil avec le Théâtre de l’Union) du 16 au 18 déc à 20h30.

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