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Billet de blog 19 octobre 2025

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Vivant, le soldat russe Vania ?

Dans un nouveau lieu parisien, le Local des autrices, Ivanka Polchenko met en scène « Vania est vivant », belle pièce de l’autrice russe Natalia Lizorkina exilée en Géorgie

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Natalia Lizorkina, autrice russe née en 1990, a quitté la Russie aussitôt après que l’armée de son pays, à la faveur d’une « opération spéciale », soit entrée en Ukraine, entamant une durable guerre meurtrière. Elle vit aujourd’hui en Géorgie. Sa pièce Vania est vivant a été traduite et publiée en français (1) et en anglais. Elle a été créée en anglais au festival fringe d’Édimbourg en 2023 puis fut l’un des coups de cœur de la Comédie-Française avec une lecture dirigée par Laurent Muhleisen ayant pour unique interprète Thierry Hantisse. La pièce est aujourd’hui créée en français à Paris par Ivanka Polchenko, mise en scène et jeu, qui l’interprète également certains soirs en anglais, dans un nouveau lieu parisien, Le local des Autrices.

Alia, la mère de Vania surnomme affectueusement son fils Vanestchka qu’elle a vu partir « faire la paix », le mot guerre étant aujourd’hui interdit en Russie, les mots jouent au jeu du miroir. Toute la pièce va multiplier de tels glissements sémantiques. « Mon fils n’a pas été fait prisonnier. Il est parfaitement libre » se persuade la mère auprès de sa voisine à la faveur d’une vidéo où elle dit reconnaître son fils ce qui n’est pas l’avis de sa voisine. Il y a d’autres rôles tout au long de la pièce mais tous doivent être interprétés par « une seule personne » souligne l’autrice.

Outre la voisine qui s’empresse de renter chez elle, Alia rencontre une femme avec deux enfants auxquels elle offre des biscuits puis la voici qui entre dans un magasin s’adresse à la vendeuse en lui disant « vous savez, mon fils est parfaitement libre », cependant, comme elle n’achète rien, on lui demande de partir : « vous faites peur aux clients ».

Son téléphone sonne. Un voix lui dit « Votre fils est vivant », puis « Vania reviendra ». La voix insiste : « C’est comme ça dans notre pays. Vania reviendra. Acceptez-le. C’est tout » On comprend, nous lecteurs ou spectateurs, que Vania est mort. Ainsi progresse, dans la dénégation, une lente descente aux enfers de la folie qui mènera Alia dans la rue avec une icône entre ses mains, puis auprès d’un ami de Vania qui lui offre la Constitution russe tout en lui disant de la montrer à personne, puis dans un cimetière face à un cercueil vide, et ainsi de suite. Traduite devant un tribunal, Alia finira dans une cellule d’isolement où elle chantera une berceuse à Vania. « Tu seras grand et heureux » lui dit-elle.

Belle pièce aux sous baissements kafkaïens interprétée toute en douceur et perspicacité par Ivanka Polchenko sur la scène du Local des autrices qui s’est ouvert en février dernier, un lieu voué «  à l’écriture des femmes ».

Vania est vivant au Local des autrices 18 rue de l’Orillon Paris 11e.Prochaines représentations en français par Ivanka Polchenko les sam 25 et dim 26 oct ; en anglais, avec des sous-titres français par Nilokaï Mulakov les jeu 23 et ven 24 oct. Du jeu au sam 19h, dim 15h . www.localdesautrices.fr

(1) La pièce traduite par Elena Gordienko est parue dans le recueil Lioubimovka 2022 : l'écho de l'écho (Théâtre russophone en temps de guerre) chez Sampizdat.

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