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Marcial Di Fonzo Bo existe. La preuve, on peut le voir tous les soirs arpentant un appartement sur la scène du théâtre de la Bastille. Oui, mais qui se cache derrière cette identité ? Un artiste qui parle le français comme une vache espagnole ayant copulé avec un taureau argentin ? Un metteur spécialisé dans le Copi non conforme et présentement directeur d’un CDN dans la bonne ville d’Angers célèbre par sa douceur ? N’est-il pas plutôt ou aussi le descendant d’une célèbre famille de comiques portenŏs sommés de devenir sinistres ou de foutre le camp du pays dans les années noires de la dictature argentine ? Ou bien n’est il pas, tout bonnement, un acteur esseulé s’adonnant par désespoir au seul au scène pour n’avoir jamais été sur scène le bel Hamlet ou même le père de ce dernier ?
Un peu de ceci, un pointe de cela et un chouia de perlimpinpin a t-on envie de dire en sortant du spectacle Portrait de l‘artiste après sa mort, un pièce de l’auteur italien Davide Carnevali.
Notez que le nom de l’auteur, Carnevali, oscille entre la carne et le care, le canevas et le carnaval ce qui ne simplifie pas les choses d’autant que le prétendu Carnevali est peut-être un pseudonyme. Et s’il s’appelait en fait Borgeaisse ? Ce dernier, selon des sources non autorisées, se ferait appeler Carnevali par amour pour sa mère. Quoi qu’il en soit, il se fait un point d’honneur à réécrire sa pièce Portrait de l’artiste après sa mort dans chaque pays où elle se joue. Et il le fait, selon ses dires (aussi fiables qu’une vieille pince à linge au bois défraîchi et jouant au cochon pendu sur son fil) en fonction de son humeur et de celle de l’acteur qui va l’interpréter mais aussi l’incarner en scène, nous laissant croire ou feindre de croire que l’histoire qu’il nous raconte sous le couvert d’un monologue est par-ci vraie, par-là fictive, voire après passage dans la cave à vain, réinventée.
Or donc Marcial, mister Bo et l’ami Di Fonzo sont tous en un (et quelques autres) seul en scène. Ça en fait du monde et des pistes, vraiment fausses ou faussement vraies, la littérature argentine adore ça. Et, qui sait, l’italien Carnevali est possiblement le rejeton d’une famille de gens de gauche italiens émigrés à Buenos Aires sous le fascisme italien et revenus précipitamment des décennies plus tard à Milan lorsque les colonels fascistes argentins arrivèrent au pouvoir a Buenos Aires. Difficile à vérifier car le personnage de Carnevali meurt avant la fin de la pièce écrite par son homonyme ou son double.
Après enquête et vision du spectacle donné au Théâtre de la Bastille après le Piccolo teatro di Milano, voici ce qu’il en est ou semble en être. Pour commencer le décor : un ensemble pseudo-réaliste associant bureau, coin cuisine, salon et chambre attenante. Les techniciens sont à la bourre, il y a encore plein de trucs à déballer dans des caisses estampillées teatro de Milano, Marcial di Fonzo Bo en profite pour nous parler de sa famille qui serait d’origine italienne. Son grand-père aurait émigré en Argentine comme bon nombre de ses compatriotes. Et puis il en vient à la lettre reçue à son adresse à Caen, ville où, jusqu’à la saison dernière il dirigeait le CDN. La lettre est adressée à Marzial Di Fonzo Bo.. Marzial avec un Z comme zig zag.
La lettre mentionne un appartement semblable à celui où évolue sur scène l’acteur Marcial et donc désormais le dénommé Marzial. Les spectateurs observateurs seront conviés un peu plus tard à monter sur scène et à fureter dans l’appartement. Qui a tout d’un vrai appartement –avec meubles, luminaires, etc- et tout d’un décor de théâtre avec faux livres, lumières venant des cintres, etc. . C’est alors qu’Arthur Rimbaud , cet expert en sentiments mêlés nous a chuchoté à l’oreille : « n’oublie pas que je est un autre » La voix d’un poète c’est toujours rassurant. Alors, enfoncé dans mon fauteuil spartiate (tous les fauteuils du Théâtre de la Bastille viennent d’un théâtre de Sparte et son donc particulièrement spartiates), je me suis mis à l’écoute de Radio Bo.
C’est comme les grandes sagas de Philippe Colin sur France inter : on y entre comme dans un roman mais c’est la vie. Sur radio Bo l’inverse est aussi probable : tout roman est une vie qui s’ignore. D’ailleurs nous voici partis dans la France de Pétain organisant la chasse aux Juifs et dans l’Argentine des années noires, celle des militaires, faite d’arrestations, de tortures, de nouveaux nés enlevés à leur mère et de vivants pieds et poings liés jetés en pleine mer depuis un avion.
Bref, tout commença un certain soir mémorable où l’auteur italien Davide Carnevali vint écouter Martial à moins que cela ne soit aussi l’inverse : Marcial Di Fonzo Bo découvrant scotché le texte de l’italien un soir d’été à la Chartreuse . Toujours est-il qu’à la fin des fins les deux compères décidèrent de faire cause commune. L’opération s’est reproduite pour l’auteur dans différents pays avec d’autres acteurs.
Pour en finir, revenons à cette pièce orgueilleusement titrée Portrait de l’artiste après sa mort. A qui donc appartenait vraiment cet appartement que nous ne quittons d’un bout à l’autre du spectacle? A un musicien juif nommé Schmidt ou au pianiste Lucas Misiti qui aurait pris pour pseudonyme le nom de Jorge Luis Di Fonzo. Allez savoir. Comme le serinait Borges : « l ‘oubli et la mémoire sont tout autant inventifs ». Et l’acteur Martial Di Fonzo Bo est le meilleur guide qui soit pour nous perdre en ravissements dans ce labyrinthe inventé et chroniqué par ce diable de Davide Carnevali.
Théâtre de la Bastille, jusqu’au 22 nov à 20h, du 22 au 27 à 20h30 ; le samedi 23 à 18h, relâche le jeu et le dim.
Traduit de l’italien par Caroline Michel, le texte de Portrait de l’artiste après sa mort sous titré-France 41 Argentine 78 dans cette version pour Marcial Di Fonzo Bo est publié aux Éditions Les solitaires Intempestifs