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Billet de blog 20 décembre 2024

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Femmes metteuses en scène, combien de bataillons ?

Le N°299 de la revue d’histoire du théâtre a pour titre « Pour une histoire des metteuses en scène ». De Sarah Bernhardt -et même avant- à Ariane Mnouchkine ‘et même après-, ça fait du monde. C’est passionnant même s’il y a, pour ce qui est d’aujourd’hui, une horde d’oubliées

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Scène de "La jeune Parque" , une mise en scène de Julie Delille © Davild Morel

Avant d’entrer dans le vif de ce numéro préfacé par Julie Deliquet, observons que, depuis sa création dans les années 30, la Société d’histoire du théâtre a toujours été dirigée par des hommes : d’Auguste Rondel à Marcel Bozonnet en passant par Louis Jouvet, Jean Louis Barrault, François Périer et Paul-Louis Mignon et aujourd’hui Clément Hervieu-Léger . Ce numéro a été coordoné par Joël Huthwohl, vice-président de la Société et Agathe Sanjuan, secrétaire générale. Notons enfin que tous les articles à l’exception d’un seul sont signés par des chercheuses.

Une première salve d’articles cherche, du XVIe au XVIIIe siècle des traces de mises en scène féminines. Chez la Clairon ou Mademoiselle Dusmesnil on en reste à des prémices. Il faut attendre Sarah Bernhardt pour voir en elle « la première metteuse en scène », article signé par le seul homme du numéro, ce grand fouilleur et conservateur d’archives qu’est Joël Huthwohl. Au lendemain de la première de La Samaritaine d’Edmond Rostand, Jean Lorrain salue en elle comme le monde entier « la première des tragédiennes » mais, ajoute-t-il, ce spectacle « après Lorenzaccio, la consacre metteuse en scène de génie ». Cela ne s’est pas fait en un jour mais progressivement, après son départ volontaire de la Comédie-Française. Devenue propriétaire et directrice du Théâtre de l’Ambigu (un magnifique théâtre des grands boulevard que Malraux laissa détruire dans les années 60), elle met en scène des pièces où elle ne joue pas sans pour autant apparaître comme metteuse en scène sur l’affiche. « Son pouvoir financier et médiatique lui permet de passer outre les mentalités et les pratiques des milieux théâtraux de l’époque » note Huthwohl. Elle dialogue avec les auteurs, n’hésite pas à s’installer dans le trou du souffleur pour intervenir auprès des acteurs pendant la représentation. Plus tard, elle dictera le précieux  L’art du thé âtre.La voix. Le geste. La prononciation  qui sera édité après sa mort. « Aux yeux de ses contemporains, la metteuse en scène de L’Aiglon n’est pas plus une femme que le duc de Reichstadt, elle est Sarah Bernhardt, un point c’est tout » conclut Joël Huthwohl. Tout cela n'apparaît quasiment pas dans le film La divine de  de Guillaume Nicloux  sorti récemment, focalisé sur les amours de Sarah Bernhardt (Sandrine Kiberlain) , en particulier sa longue relation avec Lucien Guitry (Laurent Lafitte), le père de Sacha.

A propos de Réjane, Aude Ginestet s’interroge : « Sous les feux de la rampe, une metteuse en scène invisible? » Les metteurs en scène désignés filent doux devant « la patronne » qui comme Sarah Bernhardt est aussi directrice de théâtre. J’ignorai tout de Cora Laparcerie, « actrice, directrice et metteuse en scène » avant de lire l’article de Nathalie Coutelet qui nous apprend à mieux connaître cette femme énergique qui dirigea le Théâtre de la Renaissance et le théâtre Mogador et dont le beau-père était Jean Richepin. Le regretté Michel Corvin consacra sa thèse à Louise Lara dite « Louise la rouge » et à son studio d’art et action sur la butte Montmartre. Devenue sociétaire de la Comédie-Française, elle plaida pour que la maison de Molière monte de nouveaux auteurs comme Francis Jammes. Elle claquera la port en envoyant une lettre étonnante à l’Administrateur de l’époque, lettre publiée par Eugénie Martin qui lui consacre un article où elle raconte comment, dans la dernière partie de sa vie, Lara se consacra à la pédagogie.

Anne-Lise Depoil titre son article  Simone Jollivet, la femme-théâtre éclipsée par Charles Dullin . Un rien perfide, elle se pose la question «  Comment expliquer qu'après avoir collaboré de façon certaine à trois mises en sne de l’Atelier [théâtre que dirigeait Dullin] sans être créditée, Simone Jollivet ait pu signer en son nom la mise en scène du Roi Lear joué au théâtre Sarah Bernhardt en 1945 dans une adaptation dont elle est également l’autrice » . Noëlle Giret, précieuse archiviste de la Comédie-Française, évoque Véra Korène qui, en 1923, entre dans la troupe du Théâtre de l’Odéon auprès de Firimin Gémier. Plus tard, elle entrera à la Comédie-Française, sera exclue de la Société des Comédiens français comme les autres juifs de la troupe suite aux lois de Vichy. Réintégrée en 1945, elle commence à y signer des mises en scène avec Les sincères de Marivaux. » C’est là « une première au Français » note Giret. En 1957, Vera Korène met en scène Les mouches de Sartre à Fourvière, « la critique est unanime ». La même année, elle prend la direction du Théâtre de la Renaissance et y restera plus de vingt ans. Sa mise en scène de Qui a peur de Virginia Woolf y triomphera.

D'autres articles évoquent des metteuses en scène plus récentes comme le furent Catherine Dasté (qui révolution le théâtre pour les enfants), Catherine Monnot ou Sylvia Monfort. Lorraine Wiss s’intéresse aux « Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années1970-1980 en France », sont évoquées des figures comme celles de Michèle Foucher, Denise Chalem ou Gilberte Tsaï, cela reste parcellaire. Tout s’achève par des conversations avec des metteuses en scène. D’abord Ariane Mnouchkine puis Hélène Cixous suivies par Anne Delbée, Brigitte Jaques-Wajeman, Anne-Laure Liégeois, Sophie Loucachevsky et Chantal Morel.

Le numéro est parachevé par un « dictionnaire numérique des metteuses en scène » d’aujourd’hui, cela va de Sandrine Anglade à Lisa Wurmser. Sur le site internet de la revue d’histoire du théâtre, la liste est un peu plus étoffée. Mais manquent tout de même : Stéphanie Aflalo, Elise Chatauret, Agathe Charnet, Camille Dagen, Catherine Gandois Julie Delille, Marie Fortuit, Ambre Kahan, Magali Montoya, Marie Payen, Laetitia Pitz et j’en oublie. Chercheuses, encore un effort !

Pour une histoire des metteuses en scène, Revue d’histoire du théâtre 299 , 2024/2, 352p, 22€

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