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Billet de blog 21 mai 2025

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Le TNS de Stanislas Nordey, anatomie d’un projet singulier

Peu après sa sortie du TNS, Stanislas Nordey retrouve Frédéric Vossier qui fut à ses côtés tout au long de ces neufs années strasbourgeoises et, ensemble, les retraversent en les interrogeant sans fard. Passionnant.

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Illustration 1
"Le voyage dans l'est" de C. Angot mis en scène par S. Nordey © Jean-Louis Fernandez

Il y a dix ans paraissait Stanislas Nordey, locataire de la parole, un livre d’entretiens de Frédéric Vossier, avec l’acteur, metteur en scène. Y était raconté et commenté chronologiquement le parcours de « Stan», depuis sa formation auprès de sa mère Véronique, pédagogue hors pair, qui tenait un cours d’art dramatique réputé, et ce qui s’en suivit : le Conservatoire, son premier spectacle (La dispute de Marivaux) alors qu’il est encore élève, la série des Pasolini, la co-direction du TGP avec Valérie Lang, une histoire fondatrice et mouvementée, puis ses années, elles aussi mouvementées, à Nanterre auprès de Jean-Pierre Vincent, et enfin, appelé par François Le Pillouer, la direction de l’école du TNB. Et, basse continue de ce parcours jusqu’en 2013, son attrait constant, spectacles à l’appui, pour les écritures théâtrales contemporaines : Martin Crimp, Didier-Georges Gabily, Laurent Gaudé, Frédéric Mauvignier, Fausto Paradivino, Falk Richter par trois fois, Wajdi Mouawad, Christophe Pellet, Anja Hilling , Peter Handke (Par les villages dans la Cour d’honneur du Palais des papes en juillet 2013), d’autres encore. Et puis, tout aussi présent, son travail d’acteur dans la plupart de ses spectacles et avec d’autres : Jean-Pierre Vincent, Anatoli Vassiliev, Christine Letailleur, Anne Théron et bien sûr, en 2013, la création de Clôture de l’amour de Pascal Rambert avec Andrey Bonnet.

Locataire de la parole II qui paraît aujourd’hui, cosigné Stanislas Nordey et Frédéric Vossier, couvre les années 2013-2025 largement marquées par les neuf ans passés à la direction du Théâtre National de Strasbourg. Nordey ayant appelé Vossier à ses côtés à Strasbourg (il y créa, entre autres, la revue Parages), leur entretien se poursuit donc, dix ans après, marqué par la proximité et le sceau de l’amitié. Deux deuils et même trois traversent cette seconde période. Ceux de Valérie Lang et de Véronique Nordey, et celui du père de Stanislas, le cinéaste Jean-Pierre Mocky, retrouvé brièvement sur le tard.

« La première chose précise et déterminante de mon projet[pour le TNS], c’est de placer l’acteur au centre »  affirme Stanislas Nordey d’entrée de jeu. L’affirmation est claire, impérative et inédite pour un théâtre national (on ne peut cependant ignorer l’exemple de Jean-Pierre Vincent qui arriva au TNS avec une équipe de dramaturges-auteurs et d’acteurs). Les actrices et acteurs que Nordey choisit sont autant de « phares » dont il souhaite accompagner et favoriser les désirs. Ainsi Véronique Nordey, sa mère et Laurent Sauvage qui était déjà à ses côtés dans son tout premier spectacle, des acteurs avec lesquels il a travaillé : Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart, Vincent Dissez, Valérie Dréville, et ceux qui viennent d’ailleurs : Nicolas Bouchaud, Dominique Reymond. Ce sont leurs portraits en noir et blanc, des magnifiques photographies en gros plans signées Jean-.Louis Fernandez qui vont peupler le TNS : ses murs, ses programmes, ses affiches, tout au long de ces neuf années.

Côté metteurs en scène, l’ option de Nordey n’est pas dans l’ émergence, mais dans le soutien à des artistes déjà repérés et qui montent en puissance, de Thomas Joly à Julien Gosselin, et d’accompagner des artistes proches comme Christine Letailleur, Blandine Savetier et Anne Théron, mais aussi Lazare. Une ruche. Et, venue de loin, l’énorme puissance d’Anatoli Vassiliev. « Un séisme » dit Nordey. Il avait déjà travaillé avec lui comme acteur. « A mon arrivée au TNS, je lui ai fait savoir que j’aimerais qu’il vienne y créer ce qu’il voulait. Avec qui il voulait » . Vassiliev choisit Le récit d’un inconnu, une nouvelle de Tchekhov et réunit su le plateau Valérie Dréville, Sava Lolov et Nordey. Éprouvant et formidable. « Travailler avec Vassiliev c’est comme mettre les mains au cœur du réacteur. On va au charbon, on sait que cela va être difficile. Il remet en cause toutes nos facilités, le savoir faire, les habitudes, les réflexes». L’aventure est âpre, complexe, le spectacle tendu, intense. Stan a plaisir à le jouer mais la veille de la première il envoie à Vassiliev une lettre assassine. Et conclut face à Vossier: « aujourd’hui, il me proposerait de retravailler avec lui, j’y courrais » .

Jouer, diriger une maison, irriguer une ville en multipliant les initiatives et en ouvrant le théâtre tout le temps et donc tout l’été, produire, mener une équipe, mettre en scène, enseigner, dévorer de nouveaux textes , le livre arpente tout cela en détails et met en avant des figures de l’ombre qui veillent sur la lumière de la maison.

Auteur lui-même, Vossier insiste, avec raison, sur la ligne de force la plus puissante de ces années Stan au TNS : les auteurs contemporains et singulièrement les autrices, les douze numéros de la revue Parages sont largement consacrés aux auteurs et autrices et c’est aussi le cas de ce livre. Nordey évoque largement Marie NDiaye, Édouard Louis, Claudine Galea, Leonora Miano et Christine Angot.

Des regrets ? Oui. Celui de n’avoir pas été suffisamment présent à l’école, de n’avoir pas connu un par un les noms de la cinquantaine d’élèves. Le regret aussi de n’avoir pas mis en scène Joyeux animaux de la misère de Pierre Guyotat. Le projet existait avant son arrivée au TNS, à Strasbourg le metteur en scène est partant mais, en lui, le directeur juge que ce n’est pas le spectacle qu’il faut pour son entrée au TNS. Il en va de même pour l’Hôtel du libre échange de Feydeau, vieux rêve qu’il souhaite mettre en scène au TNS avec les artistes associés, mais « je me suis interdit de le faire parce que le directeur producteur tient à ce que la ligne théâtrale ordonnée au contemporain soir respectée scrupuleusement ». Ayant quitté le TNS, Stanislas Nordey a pu mettre en scène ce Feydeau. Quand montera-t-il son Guyotat ?

Locataire de la parole II, Stanislas Nordey et Frédéric Vossier, Éditions les Solitaires intempestifs, 248 p,19€ Contrairement au premier volume manque hélas en fin d’ouvrage la liste des spectacles mis en scène par Stanislas Nordey au TNS et ceux dans lesquels il a joué.

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