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Actrice multiprises, Stéphanie Aflalo ne détesterait sans doute pas qu’on la qualifie d’inclassable, elle est, en effet, irréductible à être cantonnée dans une seule case. Hier actrice phare dans L’éducation sentimentale de Flaubert mis à la scène par Hugo Mallon (n’est pas madame Arnoux qui veut), on l’a vue aussi s’emparer magistralement de Loretta Song de Copi en tandem avec Florian Pautasso qui la distribue souvent dans ses spectacles produits par sa compagnie les Divins animaux . Elle a joué également un rôle crucial sous le direction de Yuval Roszman dans Jewish hour, prix Impatience.
Mais ce n’est pas tout. Férue de philosophie , elle a jeté son dévolu sur un texte de Ludwig Wittgenstein De la certitude pour inaugurer un cycle de conférences déconférencées si l’on peut dire, qu’elle écrit et interprète. Ce premier travail ,élégamment titré Jusqu’à présent personne n’a ouvert mon crâne pour voir s’il y avait un cerveau dedans, à peine créé, a été victime des conséquences du confinement et sa carrière a été écourtée mais les rares spectateurs qui ont pu y assister (j’en suis) s’en délectent encore les neurones. Le spectacle est de retour, il sera à l'affiche du festival les Singulier.es au Centquatre ce mois-ci. Galvanisée, Stéphanie Aflalo s’est lancée sur la piste d’une seconde conférence, cette fois artistique, en complicité avec Antoine Thiollier (l’un de ses partenaires dans L’éducation sentimentale) , intitulée tout simplement L’amour de l’art.
Nous ne sommes ni dans une salle d’un musée, ni dans une salle où on été disposés table, carafe et verre face à des rangées de chaises, préambule à une conférence, mais dans un théâtre où le public est assis sur des gradins , sur scène un cordon rouge limitant l’accès à une espace où se tiennent non par un mais deux conférencier.e. s, elle en élégant tailleur couleur saumon, lui en tenue un peu plus sportive, chacun derrière un micro. Au fond, un écran blanc de la taille d’un grand tableau et sur lequel vont être projetées des œuvres souvent célèbres de peintres européens des siècles passés et où les deux loustics vont pouvoir agiter un pointeur laser, rejeton de la baguette de jadis laquelle est toujours brandie dans des musées lointains. Bref, les deux loustics ont accès aux œuvres, ils sont maîtres du geste et de la parole, les spectateurs sont à leur merci. Et on ne va pas le regretter car la suite consiste en une interprétation des tableaux par l’homme et la femme, à la fois logique et comique, cosmique et croquignolesque. Bref, ils font parler les tableaux comme un policier arrive à faire avouer à un suspect de crimes imaginaires, les deux complices font ainsi cracher aux tableaux tout ce qu’ils recèlent de secrets : des jeux de lignes, des animaux minuscules, en arrière plan des correspondances inattendues, un peu comme une girafe qui ayant observé un singe essaierai comme lui de se gratter les aisselles. Bref le tableau est tenu d’avouer. Et il avoue tout (et n’importe quoi). On se gausse, on pouffe, on tousse de plaisir. Un tableau chasse l’autre et ça repart, beau moment d’érudition décalée et revitalisée, du pur plaisir. Philippe de Champaigne , les autres et mézigue en sont encore tout ébaubis.
Dans ses notes de travail , Stéphanie Aflalo souligne « l’analogie spontanée » qui lie « les figures du guide et du comédien » et comment sa mise en scène peut en jouer. Son esprit coaché par Bourdieu et consorts vagabonde à loisir dans ce jeu de cache-cache où « il s’agit de jouer avec les codes et de multiplier les faux pas ». Ainsi les deux guides « ne prenant plus la peine d’euphémiser leur subjectivité, l’expriment au contraire librement au point de voler la vedette au tableau dont ils devraient se faire les humbles et discrets interprètes ». Et, ô joie, c’est exactement de qui se passe sur scène entre l’actrice et l’acteur.
"L'amour de l'art" a été créé au Studio-Théâtre de Vitry. Après être passé au festival Actoral, au festival ZOA et au Cabaret des Curiosités de Valenciennes, le voici au Théâtre de la Bastille du 10 au 20 janvier à 10h, sam 18h, relâche le dim.
"Jusqu'à présent personne n'a ouvert mon crâne pour savoir si il y avait un cerveau dedans" sera repris au Festival Les singulier.es au 104 du 24 au 27 janvier.