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Sonia Chiambretto avait fait une entrée fracassante dans le champ théâtral avec sa trilogie : Chto, suivi de Mon Képi blanc et de Douze sœurs slovaques, trois pièces montées par Hubert Colas et qui, déjà, prenaient la tangente quant à la structure du théâtre habituel (lire ici). Dans les textes qui ont suivis depuis Zone d’éducation prioritaire et jusqu’à Gratte-ciel, l’écriture de plus en plus rythmée de Chiambretto s’est rapproché de la poésie orale, du slam, d’une sorte de jeté-parlé scénique où, souvent, elle s’expose, intervient parmi ses acteurs. C’est le cas de son dernier opus scénique qui a pour titre Oasis love et vient d’être créé sur la scène de Théâtre Ouvert.
Comme la plupart de ses textes, Oasis love prend sa source dans l’écoute, l’inventivité de la langue, des langues orales, celles des quartiers souvent dit difficiles. Mais combien riches. « Les jeunes gens qui y vivent sont hilarants, créatifs, on a presque du mal à suivre leur rythme » dit Sonia Chiambretto. Elle y mène nombre d’ateliers. C’est dans un atelier mené avec des collégiens de Seine Saint-Denis que le projet a pris corps. « On est rentrés dans une épicerie pour acheter des cannettes d’Oasis tropical et en sortant on est tombé sur l’interpellation brutale de plusieurs jeunes du quartier, on s’est rapproché. Les filles ont reconnu le cousin de l’une d’entre elles. ».
Pas question pour Sonia Chiambretto de reconstituer la scène, ni de faire du verbatim en interrogeant les uns et les autres, pas de misérabilisme. Sa réponse, c’est l’écriture à vif, la poésie orale, et le travail scénique. Conjointement. Désormais éditée à l’Arche, la plupart de ses textes prennent place dans la collection « Des écrits pour le dire » où elle a pour voisines Kae Tempest et Leonora Miano.
Pas plus que ses derniers textes, Oasis love, n’est pas un récit unique avec une histoire narrative bien construite. C’est une partition éclatée, orale et chorale. « Pour moi, le travail sur la langue, le travail sur le rythme, celui des sonorités, du souffle, de l’inventivité formelle, priment sur la narration » dit-elle. Pas une histoire donc, mais des séquences discontinues le tout formant un paysage vivant sans pareil. Oasis Love ne s’interdit pas de puiser dans des textes antérieurs comme Polices ! ou Gratte Ciel, l’un des plus beaux textes jamais écrits sur la décennie noire en Algérie, pays dont Sonia Chiambretto est originaire par son père.
Comme chez Novarina, mais tout autrement, il y a chez Chiambretto un goût pour les inventaires, les listes de noms, les accumulations. Exemple :
« SONIA : Pourquoi courir quand un policier rentre dans votre quartier ? Théo a dit qu’il court parce que ça prend trop de temps « à la vie » de se faire contrôler. Mehdi, qu’il a honte quand il y a des filles autour. Sofiane a raconté sa peur, la dernière fois, quand le policier de la BAC lui a demandé à plusieurs reprises d’arrêter de sourire, en le menaçant de le lui « arracher », alors qu’il ne souriait même pas. Samir s’est moqué de Sofiane, et a dit que lui, il s’était fait arrêter, mais que tout s’était très bien passé, qu’il n’avait été ni fouillé ni frappé. Juste un :« Nique ta mère » de rien du tout. »
Les « wah-wha ! » ponctuent le texte fait de voix entrecroisées qui parlent d’amour, d’injustice, de respect, de contrôle, de sport, de vêtements, d’interpellations et de manifestations. Exemple au hasard, ce bout de dialogue entre Déborah et Julien :
« DÉBORAH. Range ton gun, Dine.
JULIEN. Bâ-chem ! On va pas follower des gays, ouech !
DÉBORAH. Y’en a ce sont nos frères.
JULIEN. Bâ-chem! même. Je veux pas traîner avec eux, ils sont hors débat, hors sujet, c’est un truc de gaouri, ouech, un truc de Blanc.
DÉBORAH. C’est râm de parler comme ça, frère.
JULIEN. Wah-wah, deux gars, c’est pas validé.
DÉBORAH. Wah ! Validé par qui ? Par quoi ?
JULIEN. La religion, Jul.
DÉBORAH. Wah-wah, et si c’est leur combat ?
JULIEN. Wah, quoi leur combat?
DÉBORAH. Dans la religion y’a écrit : Chacun son combat.
JULIEN. Combat de quoi?
DÉBORAH. Chaque humain a son truc à combattre pour sa vie, y’en a ça va être la cleptomanie, y’en a ça va être autre chose, bâ-chem, lui ça va être ça. Des choses qu’on ne peut pas s’empêcher de faire. Chem, si toi tu restes pas avec cette personne parce qu’elle est cleptomane, bah toi, tu fais pas ton rôle de frère. »
Sonia Chiambretto va plus loin dans Oasis love en mettant le policier, celui dont c’est la vocation, celui qui passe les concours internes, tout en faisant un détour par Adama Traoré et en créant des liens avec d’autres événements hors du cercle hexagonal. Comment vivre ensemble ? La question sous-tend ou innerve bien des propos.
Sonia Chiambretto a travaillé avec son collaborateur habituel, Yoann Thommerel et a su réunir une troupe disparate de jeunes qui s’épaulent : Théo Askolovitch (passé par l’ESCA), Lawrence Davis ( membre de la belle troupe du théâtre de Nanterre), Felipe Fonseca Nobre (école du TNS), Julien Masson (ERAC), Emile-Samory Fofana (troupe avenir du TNS) et Deborah Dozoul (EDT91). Les histoires qu’ils racontent font souvent écho avec celles qu’ils ont vécu.Une belle osmose sous la houlette de Sonia Chiambretto, mi cheffe de bande, mi maîtresse de cérémonie
Oasis love, Théâtre Ouvert, lun mar mer 19h30, jeu et ven 20h30, sam20h30 sf le sam 30 18h, jusqu’au 30 septembre. En coréalisation avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers et le Festival d’automne