La prochaine fois que j’entrerai au Théâtre de la Colline, en poussant la porte de verre, je saluerai la mémoire de Guy Rétoré qui vient de s’éteindre à 94 ans. Sans lui, sans cet animateur théâtral de l’est parisien, ce théâtre national n’existerait probablement pas. En tout cas, pas là.
Fils d’une famille paysanne solognote venue à Paris chercher du travail du côté de Charonne, ayant été à l’école rue des Pyrénées, bientôt épris de théâtre via le théâtre amateur de la SNCF (il s’y était fait engager pour échapper au STO), c’est vers un désert que Guy Rétoré dirigea son regard et son âme de pionnier : l’est de Paris.
De la Guilde au Théâtre de Ménilmontant
Passés les grands boulevards avec le triangle d’or que formaient les théâtres de la porte Saint-Martin, de la Renaissance et le si beau théâtre de l’Ambigu (que Malraux laissa détruire), passés les petits théâtres du Xe comme le théâtre de Lancry où fut créé Les Chaises de Ionesco, en montant vers Belleville, on trouvait quelques cafés concerts ou de l’opérette, mais plus haut, du côté de Ménilmontant ou du père Lachaise, il n’y avait rien ou presque. C’est là que le jeune Rétoré s’installa, dans ce quartier populaire, fondant sa compagnie, La Guilde, en 1950 sur le socle d’un passé de théâtre amateur, entraînant avec lui une vingtaine d’acteurs qui firent les beaux soirs d’une salle de patronage.
L’aventure ne tarda pas à être remarquée. Vainqueur du Concours des jeunes compagnies en 1957, Rétoré aménage grâce à l’argent du prix une salle paroissiale rue du Retrait qui devient le Théâtre de Ménilmontant.
Pour Rétoré, le théâtre avait d’abord une fonction sociale, il devait s’inscrire dans le paysage et dans la durée, un théâtre de « service public » dans le sillage de Jean Vilar. A ses yeux, les œuvres étaient d’abord des moments de partage, de rencontres, de discussions. L’esthétique venait après. « L’important dans le Guernica de Picasso, disait-il, ce n’est pas la peinture, c’est la dénonciation du crime, de la dictature, de la cruauté. Ce n’est pas qu’une œuvre d’art, une réjouissance de l’esprit. Elle exprime une foi, une révolte, elle devient ma vie. »
Même si, une année, il reçut le prix du concours des jeunes compagnies, Rétoré ne marqua pas fortement l’histoire de la mise en scène. Mais, écrivant une belle page de la décentralisation dramatique au sein même de la capitale, il forma un public, contribua à faire découvrir des auteurs comme John Arden ou Peter Hacks, Denise Bonal ou Daniel Besnehard, tout en montant Shakespeare ou Brecht, ou en signant en 1968 la mise en scène de cette très belle pièce d’Armand Gatti qu’est Les Treize Soleils de la rue Saint-Blaise.
Du TEP au Théâtre de la Colline
En 1963, la Guilde avait fait place au TEP, le Théâtre de l’Est parisien, installé dans un ancien cinéma de la rue Malte brun. Le TEP devient Centre dramatique national trois ans plus tard puis, en 1972, reçoit le statut de Théâtre National. Rétoré et son équipe multiplient les actions dans les écoles, les entreprises, travaillent avec de nombreuses associations. Tout en ouvrant le théâtre à bien des artistes, tel l’auteur et metteur en scène turc Mehmet Ulussoy qui y créa son chef-d’œuvre Le Nuage amoureux. En 1974, une seconde salle, le petit TEP (aménagée dans une ancienne laverie automatique) ouvre la voie à bien des expériences. C’est sur cette scène que Jacques Lassalle crée Travail à domicile de F.-X. Kroetz, spectacle déterminant pour la suite de son itinéraire.
Vissé à son quartier comme à un rocher, Guy Rétoré laisse une trace durable dans l’est parisien d’où venaient la plupart de ses spectateurs. Son meilleur spectacle, ce fut son public. Fidèle, fier. Quand le Ministère de la culture décida de construire le théâtre de la Colline en lieu et place du grand et du petit TEP, Rétoré déplaça le TEP un peu plus haut, rue Gambetta. Quand le même ministère mit fin à ses fonctions en 2002 pour y nommer une artiste d’une plus jeune génération, soutenu par « son » public, il batailla un peu puis s’en alla prendre sa retraite en Sologne, berceau de sa famille.
Curieuse coïncidence, deux jours après la mort de Guy Rétoré, l’église, propriétaire des murs, décidait de fermer le lieu de ses débuts, le théâtre de Ménilmontant...