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Les lumières ont commencé à baisser, c’est alors que, dans la quasi obscurité, Tran To Nga s’est avancée à pas lents et s’est assise à la place qui lui avait été réservée au premier rang, le soir de la première. Une bonne heure durant, elle a regardé, à quelques pas devant elle, une jeune actrice raconter l’histoire et les luttes de sa vie mouvementée et obstinée, un monologue écrit par une troisième femme qui a accolé à son nom celui de sa famille d’origine : Nguyen.
Tran To Nga est aujourd’hui une veille femme vietnamienne octogénaire dont la vie est faite de luttes, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné, est une jeune actrice française d’origine japonaise et vietnamienne, passée par l’ERAC et Marine Bachelot Nguyen est autrice et metteure en scène française d’origine vietnamienne au sein du collectif Lumière d’août à Rennes depuis bientôt vingt ans.Quant à Julie Pareau, elle signe les vidéos intégrées au spectacle.
C’est en 2019 que la metteure en scène a lu Ma terre empoisonnée (éditions Stock), le livre autobiographique de Tran To Nga. Marine Bachelot Nguyen en a fait un premier travail à Nantes au Grand T à l’invitation de Catherine Blondeau. Un an plus tard , quand le collectif Vietnam Dioxine a sollicité des artistes d’origine vietnamienne pour soutenir le combat de Tran Tio Nga, Marine Bachelot Nguyen s’est portée volontaire et a écrit le texte de Nos corps empoisonnés.
Le spectacle s’ouvre par le procès qui s’est enfin tenu au tribunal d’Évry le 25 janvier 2021 après six années de procédures et 19 reports d’audience . « Ce moment on l’a attendu tant d’années » dit la vieille femme via la jeune actrice. « Je suis là pour incarner les victimes. Ceux et ceux qui ne peuvent pas parler, celles et ceux qui ne peuvent plus parler ». En face d’elle, quatorze avocats représentant les quatorze multinationales (dont Monsanto) qui, via l’armée américaine, ont déversé 75 millions de litres d’agent orange sur les champs, les forêts et les habitants pendant la guerre du Vietnam. Champs devenus impropres, forêts ravagées, corps bousillées ou durablement atteints.
Avant d’aller plus loin, le spectacle décline la vie de Tran To Nga depuis sa naissance le 30 mars 1942. L’école où elle apprend le français, les drames de sa famille et ses luttes « contre les impérialismes américains », les tonnes de bombes qui s’abattent, et son engament personnel qui va grandissant. Après dix ans de séparation, elle retrouve sa mère dans un pays aux paysages dévastés par les bombardements et les épandages massifs de produits toxiques. Des soldats américains en seront eux aussi victimes mais en 1981 les firmes les dédommageront en èchange d’une absence de procès. Mais côté vietnamien, rien, pas le moinde dédommagement. Le mal n’atteint pas seulement les vivants mais les enfants qui naissent comme Viêy Hat la fille de Tran To Nga qui en mourra. Ses deux autres filles, comme leur mère, auront des maladie de la peau et des insuffisances respiratoires.
Quand les Américains fuient Saïgon, le nouveau régime communiste « choisit la sanction et la purge ». Tran To Nga finira par choisir l’exil en France. Après avoir combattu l’armée des USA, son ennemi c’est l’ensemble des firmes américaines meurtrières, un combat dont elle est l’une des figures emblématiques.
Retour au procès : la cour se déclare incompétente pour juger les faits. Un appel est en cours.
L’actrice salue et Tran To Nga, se lève et va la rejoindre.
Nos corps empoisonnés aux Plateaux sauvages, 20h, jusqu’au 25 mars . Puis le 6 avril à la Sorbonne nouvelle Paris3, le 11 avril au théâtre du champ du Roy à Guingamp, le 14 avril au festival Mythos à Rennes, les 2 et 3 mais au festival Eldorado au CDN de Lorient et cet été dans le off Avignon à la Manufacture du 7 au 23 juillet.