
Sandrine Dumas et Marilú Marini se sont rencontrées il y a longtemps sur un plateau, leurs rôles étaient ceux d’une fille et d’une mère. Tout est parti de là. D’une jeune actrice et d’une actrice plus âgée qui aurait pu être la mère de la première. Depuis, Sandrine Dumas est passée de l’autre côté, Marilú Marini a poursuivi sa carrière d’actrice. « Un jour, raconte Sandrine, elle m’a annoncé qu’elle partait avec le metteur en scène Pierre Maillet à Buenos-Aires pour y jouer un spectacle sur Copi qu’il avait créé en France. Et tout à coup, il m’a paru évident qu’il fallait que je filme ça. (...) C’était un élan plus qu’un projet, je devinais qu’elle serait très émue de jouer ce texte en Argentine... »
Née en 1940 en Argentine d’un père italien et d’une une mère prussienne, Marilú Marini devient danseuse dans un pays où règne alors la dictature. Elle s’oppose au régime comme beaucoup d’autres jeunes épris de liberté et de justice, à Buenos-Aires elle montre ainsi à Sandrine l’endroit où elle a été enfermée 25 jours à l’isolement dans une cellule. Ses jeunes amis du groupe Tse emmenés par Alfredo Arias sont partis pour la France, elle les rejoint à Paris en 1975, intègre la troupe, devient pleinement comédienne et fait partie de la distribution de Peines de cœur d’une chatte anglaise au TGP, énorme succès en 1977. D’autres spectacles enchanteurs suivront comme Mortadela en 1992.
Marilú parle joliment à Sandrine de sa « complicité très grande » avec Alfredo Arias. « J’étais admirative et complètement fascinée par lui. A Paris j’étais seule, ma famille c’était eux ». Plus tard, elle coupera le cordon ombilical (« Alfredo me manque mais je suis contente de cette distance, c’était bien pour nous deux »). Quand Alfredo Arias met en scène La tempête de Shakespeare dans la cour d’honneur du Palais des papes au Festival d’Avignon, Pierres Dux tient le rôle de Prospero et Arias confie à Marilú le rôle du diable malfaisant, Caliban, elle est affublée d’un impressionnant maquillage. Des années plus tard, dans son ultime spectacle Tempest project, Peter Brook confie à Marilú le rôle opposé, celui de l’ange Ariel. Le portrait de l’actrice avance ainsi par touches sensibles, entre présent et passé, répétitions et représentations, archives et conversations avec Sandrine Dumas.
La femme assise de Copi en 1984 vaudra à Marilú Marini le prix hautement mérité de la meilleure comédienne. Le film nous offre une bel extrait de ce spectacle incroyable. « Je suis argentine mais dans mon corps il y a les tatouages de la culture française » dira-t-elle et ajoutera : « je déteste la nostalgie poignante des exilés ». Autre éclairage : « En Argentine on est toujours au bord du gouffre » souligne-t-elle alors qu’elle joue à Buenos Aires Los dias Felices (Oh les beaux jours) de Beckett dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel. Sandrine la suit à Marn el Plata où Marilú vivait autrefois avec sa mère, sa tante et son frère (le père s’était réfugié en Patagonie). Un sourire dans les yeux, elle se souvient du goût délicieux des king crabs…Et puis , soudain, comme une évidence résumant sa vie toujours sur la brèche à 84 ans : « L’endroit où je me sens le plus libre au monde, c’est sur un plateau. Tout est millimétré, mais je me sens libre ».
Ce que filme aussi Sandrine Dumas avec beaucoup de tact, c’est le vieillissement du corps de l’actrice. « Avec l’âge, le corps de ma mère est très présent » dit Marilú, une mère dont elle ne sait « si elle m’a aimée ou non ». Elle se lève, quitte la loge qu’elle occupe avec une jeune actrice débutante, se dirige vers la scène, avant d’y entrer, elle se signe et crache par terre. Les dieux du théâtre veillent sur elle. « Tu peux filmer jusqu’à ce que je meurs » lance-t-elle à Sandrine. C‘est un « pacte » entre elles. Et de rire. Alors tous les acteurs et actrices du spectacle font la queue pour serrer entre leurs bras, Marilú Marini, l’unique.
Le film "Marilú Marini, rencontre avec une femme remarquable" sort ce mercredi, le 24 avril.
Projection du film le 25 avril à 18h à La Ferme du buisson dans le cadre de la première édition du Festival Théâtre & Cinéma. Suivie d’une conversation avec Julie Deliquet, Sandrine Dumas, Marilú Marini et Pierre Maillet