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Jamais sans doute l’écriture de Valère Novarina n’aura paru aussi concrète, les pieds ancrés dans la terre, la gorge burinée d’humus, jamais elle n’aura semblé aussi en phase avec sa parlerie fondatrice. Les acteurs haïtiens qui interprètent l’adaptation de sa pièce L’Acte inconnu sont en prise directe avec son univers. La pièce n’est pas traduite en créole, mais les acteurs créolisent Novarina. Par leur jeu direct, par la façon dont ils accueillent ce texte dans l’évidence massive de leur dire.
Un trafic d’oralité démasqué
L’écrivain, metteur en scène et traducteur (Camus ou Koltès traduits en créole) Guy Régis Jr explique que Novarina est connu par plusieurs textes en Haïti, « ce sont des écrits qu’on ne lit pas mais qu’on dit debout », insiste-t-il. Phrase qui doit ravi l’auteur du Vivier des noms (publié chez POL comme toute l’œuvre) lui pour qui « la lecture est une déclamation dans la tête », comme il l’a dit un jour dans un entretien. L’oralité qui travaille au corps toute l’écriture de Novarina s’en trouve fortifiée, comme renouvelée.
Dans le théâtre de Novarina, il n’y a pas de scène avec enjeu ou intrigue, il y a des êtres qui entrent, qui parlent et qui sortent ; tout est dans l’adresse du dire. C’est comme un café, une place de village. Les comédiens haïtiens se glissent là-dedans avec naturel. Le monde novarinien est comme chez lui en Haïti, c’est très troublant.
Il le serait sans doute tout autant en Afrique (je n’ai pas d’exemple en tête) car il est sensible à toute caresse du parler, venue d’ailleurs. Et d’autant plus que Novarina réinvente, désosse et déborde le long fleuve policé de la langue française en explorant l’arborescence de ses origines et oripeaux multiples. Les cousins des Antilles y mettent leur grain de poivre.
Une pièce déterritorialisée
L’Acte inconnu a été créée en 2007 au Festival d’Avignon dans une mise en scène de l’auteur, avec une distribution largement novarinienne, de Michel Baudinat à Agnès Sourdillon en passant par l’accordéon fidèle et les mélodies de Christian Paccoud. Cette fois, on est là et ailleurs. A la fois en pays de connaissance dont on connaît les hymnes, les monuments, les coutumes. Et en même temps dépaysés. L’accordéon est là, mais, natif d’Haïti, Finder Dorisca infléchit la musique de Paccoud en y injectant des airs créoles, les acteurs qui l’accompagnent n’ont pas attendu son entrée pour lui emboîter le pas et faire écho, accentuant par là la déterritorialisation du texte, comme si L’Acte inconnu était un réfugié récupéré, nourri et choyé par une troupe d’acteurs haïtiens.
Céline Schaeffer qui travaille avec Novarina depuis 1999 cosigne avec lui la mise en scène. Citons ces acteurs, très différents les uns et des autres et sachant faire chœur quand il le faut : Edouard Baptiste, Bedford Valès, Jenny Cadet, Anyès Noël, Jean-Marc Mondésir, Ruth Jean-Charles. Tous sont des acteurs du Nous théâtre, la compagnie de Guy Regis Jr. C’est ce dernier qui a souhaité la venue de Novarina à Port au Prince. Le spectacle créé en France aux Francophonies de Limoges est pour quelques jours à Paris.
Maison des métallos, du mar au ven 20h, sam 19h, jusqu’au 28 mai.