On doit à cet éditeur et aux éditions le Tout sur le tout (ce nom étant le titre d’un livre de Calet publié chez Gallimard en 1948) d’avoir « redécouvert » cet auteur au carrefour des années 80 et 90. La même année, 1989, Le Dilettante publie Poussières de la route et Le tout sur le tout Cinq sorties de Paris, deux œuvres posthumes. On lit, quelques lignes suffisent, on est pris. Dans tous les sens du terme, Calet promène son lecteur. Il nous a fait Rêver à la Suisse, on a fait avec lui L’Italie à la paresseuse et même Un grand voyage jusqu’en Amérique du sud sur les traces romancées de ses frasques. Le roman n’est pas son fort, mais pour la chronique, le croquis, le feuilleton journalistico-littéraire (cf. Les Deux Bouts, Gallimard, collection L’Air du temps), à son époque, excepté Alexandre Vialatte dans une tout autre approche, Calet n’avait pas son pareil.
Parallèlement, les mêmes éditeurs nous faisaient « redécouvrir » Paul Gadenne, Raymond Guérin ou Yves Hyvernaud. Le succès fut souvent au rendez-vous.
« Les souvenirs sont comme des lianes »
Gallimard qui avait beaucoup publié Henri Calet à la fin des années trente et au début des années 50 et l’avait un peu oublié, republie alors dans la foulée plusieurs de ses livres dans la collection L’Imaginaire : La Belle Lurette, Le Bouquet, Le Tout sur le tout, Peau d’ours (livre inachevé qui s’achève sur l’inoubliable phrase : « Ne me secouez pas je suis plein de larmes ») ou encore le délicieux Les Grandes Largeurs (dont une revue reprendra le titre le temps d’une dizaine de numéros) sous-titré « Balades parisiennes ». Début de la onzième balade :
« Un de ces dimanches que je déambulais dans la rue des Acacias, j’ai reconnu devant le numéro 30 où nous avions habité, un saltimbanque que j’avais déjà vu ailleurs. Il n’est pas surprenant que nous nous croisions parfois : nous parcourons l’un et l’autre Paris. Moi par désœuvrement, lui pour gagner sa vie. »
Paris à contre-sens
Dans Le Tout pour le tout, on accompagne souvent ce « parisien de naissance » dans le quatorzième arrondissement, celui qu’il affectionne le plus et où il aime circuler « à contre-sens », empruntant la rue du passé pour gagner les artères du présent. « Les souvenirs sont comme des lianes ; il faut se méfier de ne pas trébucher à chaque foulée », note Calet.
L’honnêteté m’oblige à dire que l’inédit consacré à deux arrondissements parisiens n’est pas toujours à la hauteur des livres que je viens de citer, de leur légèreté fragile. Sans doute parce que Calet s’en tient trop à un registre informatif, que son « je » s’estompe trop souvent. Mais quand il surgit, quel bonheur ! Par exemple, dans sa recherche d’un cimetière juif proche de la rue de Flandre, quand il nous parle d’une femme aimée ou que l’enfance s’invite dans la phrase. Là, on se régale. Du Calet pur jus, pur sucre.
A son ami Georges Henein (auquel il a dédié Le Tout sur le tout), il écrit le 30 mars 1949 avoir effectué « quelques balades assez déprimantes aux abattoirs de la Villette et aux Buttes-Chaumont » pour préparer son livre. Ce sont des quartiers qu’il connaît bien et le côté déprimant des choses n’a jamais affecté sa phrase, au contraire.
Jean-Pierre Baril, qui connaît l’homme Calet et son œuvre comme personne, cite cette lettre dans sa préface avant d’évoquer la vie privée et mouvementée (elle le fut souvent) de l’auteur au moment où il rédigeait Huit quartiers de roture. Il conclut son développement par cette phrase : « Sa vie privée, à l’époque, est presque aussi compliquée que l’histoire de Huit quartiers de roture. »
Une voix sur le Programme parisien
Baril raconte par le menu les méandres de parution différée et finalement annulée de l’ouvrage. Avant son rebondissement… radiophonique. Faute de pouvoir publier son travail, Calet se tourne vers la radio auprès de Paul Gilson, directeur des services artistiques de la radiodiffusion française. Un accord est passé.
C’est là que cette parution prend tout son sens car elle est accompagnée d’un CD qui nous donne à entendre quelques-unes des émissions qui furent diffusées sur le Programme parisien du 3 septembre au 22 octobre 1952, chaque émission durant de 20 à 30 minutes.
Calet a légèrement adaptée son texte (coupant, hélas, sans doute par pudeur, quelques notes personnelles) mais surtout, c’est lui qui en assure la lecture : du Calet dit par Calet ! Comme il est bouleversant de découvrir la voix de cet homme dont l’écriture nous est si familière. Une voix grave mais pas trop, froidement séductrice au premier abord mais captivante à la longue.
Et puis, c’est un beau travail radiophonique. Réalisé par Jean Kerchbron, avec une musique originale de Jean Wiener. Le texte dit par Calet est abondamment entrelardé de chansons anciennes ou récentes à l’époque (Arletty, Yves Montant, Patachou, la jeune Juliette Gréco), de faits divers et de croquis puisés chez Jules Vallès ou Eugène Dabit, lus par des acteurs. Suivre les méandres du texte en écoutant la voix de Calet… c’est diablement délicieux.
Henri Calet, Huit quartiers de roture, éditions Le Dilettante, 224 p. et un CD, 20€.