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Billet de blog 22 novembre 2016

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« Lenga »: la compagnie GdRA fait chanter et danser les langues

« Lenga », le nouveau spectacle de GdRA nous emmène au Cap et à Madagascar sur des terres de vieilles langues. On y danse, on y chante, nous disent, dans leur langue, Lizo et Mahéry accompagnés par Christophe et Julien, créateurs de la compagnie GdRA. Une enquête en forme de quête. Documentée et tonique.

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Illustration 1
Scène de "Lenga" © Nathalie Sternalski

En 2007, le premier spectacle de la compagnie GdRA (Groupe de Recherches Artistiques), co-fondée par Christophe Ruhles et Julien Cassier, avait pour titre Singularités ordinaires. C’était plus qu’un titre, tout un programme. Tous leurs spectacles traversent des identités singulières et c’est le cas de leur nouvelle création Lenga.

Lenga nostra

Comme à chaque fois, Christophe Rulhes, par ailleurs diplômé en communication, sociologie et anthropologie à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), signe la conception, le texte et la mise en scène du spectacle tout en assurant une partie de la musique. Comme à chaque fois, Julien Cassier, qui avait suivi un cirque itinérant avant d’intégrer l’Ecole nationale des arts du cirque où il s’est formé comme voltigeur et acrobate, signe, lui, la chorégraphie.

Chacun de leurs spectacles tourne autour de rencontres associées à un travail d’enquête. Cette fois, ils ont rencontré Lizo James, membre du ZIP ZAP Circus School au Cap (Afrique du Sud) et Mahériniaina Pierre Ranaivoson qui lui, à Antananarivo (Madagascar), est membre de la compagnie l’Aléa des Possibles, une école de cirque social. Le fil rouge de Lenga, c’est la langue, celle de la famille, de la tribu, du clan, des ancêtres.

Tout est parti d’un vieil enregistrement effectué par Christophe Rulhes quand il avait huit ans. Sur la bande magnétique, la voix de son grand-père parle une langue qu’il ne comprend pas mais il lui plaît de l’entendre. C’est l’occitan, que son grand-père appelle la « lenga nostra ». Pourquoi ne lui a-t-on pas appris la langue de ses ancêtres ? Pourquoi l’institutrice se moquait de son grand-père lorsqu’il est arrivé à l’école parce qu’il ne connaissait pas le français, seule langue des écoles de la République ? Et ailleurs, comment c’est ? Son ami et complice de GdRA, le toulousain Julien Cassier, partage ce questionnement. L’enquête commence en partant d’un constat : chaque année des langues disparaissent de par le monde, c’est une énorme perte. C’est ce qui est dit au début du spectacle qui vire un peu trop au blabla – seul moment de faiblesse où le discours prend le pas sur l'expressivité scénique.

La langue xhosa et la langue mérina

L’enquête va les conduire au Cap. Où ils rencontrent Lizo qui parle le xhosa comme l’icône Miriam Makeba et sa fameuse chanson des clics. « Il n’y a que les blancs ou les colons pour appeler cette chanson le chant des clics. En xhosa, nous l’appelons Qonggothwane », dit Lizo. Tout cela traverse le spectacle. Il en va de même pour la rencontre à Madagascar avec Maheriniainna (Mahéry) qui est un Mérina, l’une des dix-huit « fook » ou tribus malgaches, le mérina étant devenu « la langue officielle de Madagascar malgré la domination du français ». Mais il est bien d’autres langues sur cette île au sud-est de l’Afrique : une trentaine, un pays de récits comme le remarqua Jean Paulhan qui s’empressa de les recueillir.

Le spectacle avance ainsi dans la découverte de ces deux mondes que portent en eux Lizo et Mahéry réhaussés par leur forte personnalité, et en écho avec le monde occitan (ce qu'il en reste) des deux autres. Le tout mis en rythme et mouvement par le travail des corps entre danse et acrobatie où Lizo et Mahéry sont associés à Julien Cassier et accompagnés musicalement par Christophe Rulhes (cabrette, guitare, platines).

Mahéry s’attardera sur l’étonnant culte des ancêtres à Madagascar, le famadihana, perpétué auprès d’immenses tombeaux de pierres et de terre. « On ouvre le tombeau et on sort les corps qui ont demandé à ce qu’on leur change le linceul et on leur en met un tout nouveau, tout propre. » Puis on danse avec les morts. Un film nous montre le dialogue entre Mahery et sa grand-mère Razafiarisoa et un autre filme le dialogue entre Lizo et sa grand-mère Nomathemba qui l’a élevé, vivant à sept dans dix-huit mètres carrés, une baraque dans la section D des townships du Cap. C’est là que Lizo a appris la danse gumboot des anciens mineurs et esclaves, les rituels xhosas mais aussi le hip-hop et le rap. Jeux de langues et volonté explosive des corps font constamment la paire et se renvoient la balle de l’inventivité. C’est là tout l’art de cette compagnie peu ordinaire qu’est le GdRA : mettre en scène de multiples façons (diversité des langues, des histoires et des formes) des singularités ordinaires.

Créé au Théâtre de Vidy-Lausanne, le spectacle est en tournée. Après Elbeuf, il sera à

Besançon (Les 2 scènes) les 23 et 24 novembre,

Brive (Théâtre des 13 arches) le 1er décembre,

Villejuif (Théâtre Romain Rolland) du 21 au 25 mars 2017,

Toulouse (Théâtre Garonne avec l’Usine) du 30 mai au 2 juin,

Montpellier (Printemps des Comédiens) en juin.

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