
Autant la précédente pièce, et spectacle au long cours, de Simon Falguières, Le Nid de cendres, était une épopée qui embrassait un amour échevelé et infini du théâtre (lire ici), autant sa nouvelle pièce, Les Etoiles, exaspère un double amour, celui du conte, ce maître des mots, et celui des marionnettes, ces bricoleurs des matières les plus simples. De l’un à l’autre, c’est du papier que naissent les mots et les figures. Comme si le théâtre que l’on croyait parti vivre d’autres aventures revenait, quoi qu’il advienne, à son camp de base et à sa raison d’être, son binôme premier : les mots et les acteurs. C’est pour ces derniers que Simon Falguières écrit, ce sont eux qui propulsent son imaginaire jamais à court d’extravagances. Et rien d’étonnant à ce que l’on retrouve dans Les Etoiles une actrice (Pia Lagrange) et un acteur (John Arnold) qui portaient loin les chevauchées des rois et reines qui ponctuaient Le Nid de cendres. (Sans pour autant oublier le décorateur complice: Emmanuel Clolus).
Le vieux et le jeune Erza
Le noyau dur, cette fois, est familial. Zocha (Agnès Sourdillon), la mère qui vient de mourir. Pierre, son époux (John Arnold), Ezra leur fils unique (Charlie Fabert), l’oncle Jean (Stanislas Perrin), un peu l’image de l’idiot du village qui n’est que la face cachée de l’innocente Sarah (Pia Lagrange), l’amie d’enfance et fiancée d’Ezra dont elle attend un enfant et qui, avant qu’il ne disparaisse dans sa chambre, lui offrira un oiseau qui ne brille que la nuit. Enfin, « la responsable des funérailles » (Mathilde Charbonneaux) qui finira par entrer dans la famille en se liant à l’oncle Jean.
Le temps est chaviré. Doublement. D’une part, d’énormes pluies s’abattent trois jours durant (que seraient les contes sans le chiffre trois ?) – « c’est le ciel qui pleure le départ de Zocha », dit l’oncle Jean chargé de fabriquer le cercueil de sa sœur – et transforme le village en lac d’où émergeront les toits des maisons. Dès lors tout se fond, se confond. D’autre part, la chronologie, dès le prologue, est explosée. C’est « le vieil Ezra, le poète de cette histoire » qui, avant qu’on ne le retrouve vers la fin de la pièce, prend le premier la parole pour faire entrer en scène l’enfant qu’il fut, celui qui, à l’heure de prononcer l’éloge funèbre de sa mère, en est empêché, ayant « perdu les mots ». Alors je jeune Ezra s’enferme dans sa chambre et commence un voyage silencieux, intérieur, introspectif, mythologique, tandis que, de l’autre côté du mur de sa chambre, le temps passe avec son lot de naissance (Macha, la fille de Sarah, grandit à l’écart loin de son père Ezra), d’amour (entre la « responsable » et l’oncle Jean ), de vieillissement des uns et des autres et, omniprésentes, les figures qui naissent entre les mains des uns et des autres.
Pas d’autres logiques que celle du désir et des rêves, pas d’autre chronologie que celle du chavirement. Zocha, la mère morte, revient visiter son fils Ezra enfant : « Non Ezra, on ne dort pas avec ses marionnettes. Tu risquerais de les casser ! Un enfant qui dort, ça n’a pas de délicatesse. Laissons la belle Kowagounta Papo sur la table de chevet. Elle te regardera dormir ! Elle éveillera les histoires. » Kowagounta Papo et Dionysos, réduit à une tête, faisant la paire, en bon duettistes.
Simon Falguières est un éveilleur d’histoires, lesquelles poussent la nuit, entre la page et la scène, telles des champignons, sans crier gare sur une terre humide et féconde. Les lits sont des radeaux qui, sans bouger, partent à la dérive.
Et voguent les boîtes
Ainsi vont ces histoires rêveuses et abracadabrantesques où le spectateur est tenu de se laisser embarquer dans un voyage sans repères durables. Car tout est bon pour dériver sur un sol friable où la terre se dérobe, sur l’air de « ces mystères nous dépassent, ne feignons pas de les organiser. ». Alors Pierre apporte à Sarah, trempée, les vêtements de la morte Zocha qui aurait été sa belle-mère. Alors une voix d’enfant chante « Aux marches du Palais » et dit à Ezra : « tu as le visage d’un homme que j’aime mais que je ne connais pas ». Alors le cercueil de Zocha, vide, vogue comme un radeau de survie.

Et l’on retrouve Ezra, dans la boîte (le cercueil) fabriquée naguère par l’oncle Jean pour sa sœur, échouée sur une plage venteuse au pays de Peer Gynt, frère de dérive. Un homme se penche sur lui et le réveille avec le bout de sa canne. C’est Ingmar Bergman, interprété par Simon Falguières lui-même. Le cinéaste a dans sa poche les deux marionnettes qui étaient dans la boîte avec Ezra, nommées Kowagounta Papo et Dionysos. La jonction est faite. On peut entrer dans la salle de cinéma sur cette île perdue nordique et imaginer le petit Alexandre ébloui en gros plan jouer avec ses marionnettes. Je songe à cette page de Lanterna Magica où Bergman, au chevet de sa mère morte, ne dit rien. Et ajoute : « je ne me rappelle pas grand-chose des heures passées dans la chambre de ma mère. Ce dont je me souviens avec le plus d’intensité, c’est ce bout de sparadrap à son index gauche. » Comme une petite marionnette. Ou un signe du destin. La boucle se boucle. Pierre, le père d’Ezra, parti dans son pays du sud, peut mourir. Ezra, au terme de son long voyage, retrouve sa fille Macha, lui qui est pour elle un proche inconnu. Ezra lui demande de pardonner son absence : « Vous n’avez pas été absent. Je venais tout vous raconter. Je venais au conseil de votre silence quand c’était difficile. Je vous parlais de cinéma. » Il la regarde les yeux plissés d’étoiles. Clap de fin.
Comme il fallait s’y attendre, en marge et en préambule de cette pièce merveilleusement déroutante, Simon Falguières a réécrit à sa manière un vieux conte pour enfants : Poucet. Une autre histoire de famille, mot qui à lui seul, résume l’œuvre intime et vagabonde de l’auteur.
La pièce Les Etoiles est publiée aux éditions Actes Sud-Papiers, 112 p., 13€.
Poucet aux éditions L’Ecole des Loisirs, 80 p., 7,50€.
Le spectacle Les Etoiles est repris au Théâtre de la Tempête du 6 janvier au 5 février, du mar au sam 20h, dim 16h