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Au cours des quatre longues, bien longues heures que dure Songes et Métamorphoses, le nouveau spectacle mis en scène par Guillaume Vincent, une seule scène s’avère courte, très courte et d’un saisissant réalisme : l’apparition du corps nu d’un hermaphrodite. Il-elle est là sur le côté, ouvre le vêtement couvrant son corps immobile dépourvu de toute mimique, et apparaît, obsédant notre regard. ce n'est pas un monstre mais un corps parfait à deux sexes : des seins magnifiques, un pénis qui ne l’est pas moins, un être désirable, une apparition.
Le théâtre dans le théâtre
Le spectacle est composé de deux parties séparées par un entracte. La première partie, contemporaine, puise dans les Métamorphoses d’Ovide (elles sont nombreuses, chacun s’y sert à sa guise) et est écrite par le metteur en scène. La seconde partie reprend, tout en s’en évadant, la traduction de Jean-Michel Desprats de la pièce de Shakespeare Le Songe d’une nuit d’été. L’ensemble tourne autour de l’incertitude sexuelle, de la complexité du désir (lequel ne connaît pas de bornes), de l’ambivalence des sexes. C’est le premier pôle.
Le second pôle, obsédant également, mais d’une manière plus flagrante, plus envahissante, miroitante et toujours payante au théâtre, c’est le théâtre lui-même, car le théâtre est dans le théâtre à n’en plus finir d’un bout à l’autre de la soirée. Le « bon vieux théâtre » avec ses panières de costumes de princesses et de princes, de fous et de souillons, ses « bons vieux » accessoires (têtes coupées, flambeaux, paillettes), ses machines à faire le vent, la pluie (d’or), ses toiles peintes en veux-tu en voilà encore, ses clairs-obscurs entre chien et loup, ses trompe-l’œil, ses morts qui n’en sont pas, son sang de pacotille, ses masques d’animaux (bonus garanti), ses maquillages outranciers, ses poudres de perlimpinpin, ses acteurs qui souvent parlent trop fort malgré leur micro hf qui leur lézarde le visage. Le théâtre dans le théâtre n’en finit pas d’entrer en scène, avec ses pièces jouées dans la pièce, ses séances de répétitions où chacun veut le rôle qu’il n’a pas.
Shakespeare adorait ça pour les mises en abyme que cela entraîne, il remet souvent ce couvert et dans Le Songe d’une nuit d’été, emprunte à Ovide Pyrame et Thisbée pour ses valeureux artisans. Guillaume Vincent exploite à fond la filiation Ovide-Shakespeare. Il aime le théâtre dans le théâtre, jusqu’à en être addict, comme un alcoolique qui a toujours besoin de boire le dernier petit verre qui n’est jamais le dernier, allez encore un jeu de lumière, allez encore un peu de paillettes, allez une dernière toile peinte pour la route, et encore, encore, encore. Son spectacle souffre de son trop-plein, d’une accumulation excessive. Trop de théâtre tue le théâtre.
Ateliers théâtre
Tout commence par un spectacle donné par des enfants inspiré du Narcisse d’Ovide, ce genre de spectacle où les mômes prennent leur pied à se déguiser, à jouer des personnages du sexe qui n’est pas le leur, à se maquiller. Ils s’amusent, leurs parents, leur famille, leurs potes aussi, le reste du public beaucoup moins. Avançons, avançons, nous voici au collège, un prof anime un atelier théâtre. Le biais est ici Myrrha qui est éprise de son père, couche avec lui sans qu’il le sache, tombe enceinte. On la répudie, elle erre dans un bois, les dieux ont pitié, elle devient arbre. Guillaume Vincent transpose cette « Métamorphose » à notre époque. On avait vu une première étape de ce travail au Printemps des comédiens l’an dernier, c’était prometteur. Promesse tenue. Les acteurs sont au rendez-vous, belle scène entre Gérard Watkins et Elsa Agnès. Avançons, avançons, nous voici maintenant chez les comédiens professionnels. Une autre « Métamorphose » transposée elle aussi, offre à l’actrice Emilie Incerti Formenti d’exprimer tout la puissance qu’elle porte en elle.
Entracte. Retour à une pièce écrite par un grand auteur et dans une belle traduction. Guillaume Vincent chahute un peu la pièce en la cassant en morceaux, mais le charme shakespearien demeure, malgré la débauche de moyens (à je ne sais quel moment, le metteur en scène fait usage des effets stroboscopiques, effet visuel putassier garanti, on devrait interdire l’usage de ce procédé optique qui atteint le spectateur au nerf optique et non à l’âme). Estelle Meyer (Titiana) et Candice Bouchet (Obéron) tirent leur épingle de ce jeu, et, de bout en bout, Gérard Watkins compose un Puck inoubliable.
Paradoxalement, dans les deux parties du spectacle, même si ces scènes restent efficaces (elles le sont dans leur principe même), les moments où l’on voit les acteurs répéter ou donner un spectacle finissent par tomber à gros sabots dans ce qu’elle dénoncent : un chapelet de poncifs ou de gags attendus. Enfin, le montage zapping de l’ensemble bloque le souffle de la mise en scène qui en manque donc.
Odéon-Théâtre de l’Europe, aux Ateliers Berthier du mar au sam 19h30, dim 15h, jusqu’au 20 mai (sf le 1er mai). Créé à la Comédie de Reims, le spectacle sera à l'affiche du Printemps des comédiens à Montpellier.