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Le metteur en scène Christophe Rauch assouvit le rêve du grand (dans tous le sens du mot) acteur qu’est Micha Lescot : interpréter Richard II , rôle premier et titre de la pièce de William Shakespeare. L’acteur avait travaillé le rôle lors d’un travail avec Gérard Desarthe pour un hommage à Vilar en souvenir de sa mise en scène de 1947 où il jouait le rôle-titre . Le rêve a pris corps l’été dernier au Festival d’Avignon dans la traduction (Pléiade) de Jean-Michel Desprats. La scénographie d’Alain Lagarde devait jouer des coudes dans l’espace du gymnase Aubanel. Elle se déploie amplement avec ses jeux de clair -obscur (lumière Olivier Oudiou, video Etienne Giol) dans la salle du théâtre de Nanterre qui, pour être provisoire (en attendant la fin des travaux), n’en est pas moins grande, une formidable machine à jouer.
Les tragédies historiques de Shakespeare ont besoin d’air, de lignes de fuite, de bordures, d’espaces perdus, de marches montant vers un trône et de machines à jouer. Tout y est dans cette scénographie ouverte et mouvante appuyée sur deux vastes gradins de marches, escaliers fantômes menant au sommet et donc au bord de la chute. Les noms de lieux (une multitude) où se passent les scènes de la pièce sont projetés sur un écran, cela suffit à notre contentement et cela concentre l’attention sur les relations humaines les jeu de pouvoir, d’alliances et de trahisons qui traversent la pièce. Le pugilat autour du trône avec son panier garni de traîtrises et de complots peut commencer.
Seul le roi Richard II porte un habit de lumière d’un blanc étincelant (« Ô que ne suis-je un roi de neige dérisoire » dira-il après sa destitution) , les autres hommes à commencer par Bolingbroke (imposant Eric Challier) ou de ce diablotin d’Aumerle, cousin du roi et fils de York (Emmanuel Noblet) ou le fieffé Mowbray (Guillaume Lévèque) sont tous parés de vêtements sombres (costumes ignés Coralie Sanvoisin), de même est sombrement flamboyante la robe de la reine. Les femmes sont rares dans cette pièce d’hommes : ici l’épouse du roi (Cécile Garcia Fogel qui endosse également deux rôles d’homme) , là, l duchesse de Gloucester et celle d’York ( Muriel Colvez). Christophe Rauch a en outre eu la belle idée de confier au même acteur (‘Thierry Bosc) le rôle du vieux Jean de Gand (Duc de Lancastre et oncle du roi qui mourra bien avant la fin de la pièce) et celui de son frère cadet, le duc d’York (également donc oncle du roi). Fils de ce dernier et cousin du roi, Le Duc d’Aumerle est un peu comme un double mineur du roi dans son jeu de volte-face.
Par la flexibilité de son corps, les nuances de sa voix et ses souples accélération scéniques, l’acteur Micha Lescot saisit, on ne peut mieux, le faisceau de doutes et de contradictions qui habitent le roi Richard II tout à tour souverain et enfantin, dictatorial et craintif, orgueilleux et fragile, roué et naïf, prévisible et surprenant, roi et rien. Entourés des corps mâles souvent massifs voire statufiés, il vole comme un papillon , sort ses griffes comme un tigre, file et fuit comme une gazelle. C’est à dessein que, dans sa mise en scène, Deborah Warner avec confié le rôle de Richard II à une actrice, Fiona Shaw (spectacle venu à la MC93 en 1996). L’acteur et le metteur en scène s’en souviennent peu-être.
La ministre de la culture devrait emmener le président de la République à Nanterre. Il y verrait un roi qui manie l’exil comme un hochet, s’entoure de mauvais conseillers, s accapare les biens d’un mort pas encore refroidi pour financer une opération de prestige guerrier à l’extérieur et qui , isolé dans sa tour d’ivoire, s’étonne d’être impopulaire. Il y verrait un roi douter de sa légitimité. Bref il y trouverait, outre du plaisir, de quoi méditer.
Reprise au Théâtre Amandiers Nanterre du 2 au 22 déc/
La traduction de Jean-Michel Desprats est disponible en Folio.