jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

1368 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 octobre 2015

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Les voix croisées de deux enfants du ghetto de Varsovie

« Ceux qui restent » est le titre d’un spectacle d’une grande intensité et d’une belle simplicité signé David Lescot. S’y croisent deux voix, deux témoignages de vieilles personnes qui, enfants du ghetto de Varsovie, s’en étaient sortis. Sous le même titre, Lescot publie aujourd’hui ses entretiens avec ces deux rescapés que sont Wlodka Blit-Roberston et Paul Felenbok.

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De la scène à la page

Dans le spectacle (lire ici), l’acteur et l’actrice prennent tour à tour la place de David Lescot pour interroger l’autre. Le livre reprend la dramaturgie du spectacle. Par séquences, il va d’un témoignage à l’autre et ainsi entrelace les voix. C’est la moindre des choses car les deux rescapés habitaient la même rue à Varsovie, étaient cousin-cousine et se sont parfois croisés durant la guerre au fil de leurs caches.

Dans son avant-propos, David Lescot revient sur la genèse de cette histoire qui commence sur un banc, en octobre 2011, quand une amie lui parle de Paul et, une autre fois, un peu plus tard, de Wlodka.

Très vite, Lescot a l’intuition qu’il lui faut rencontrer ces personnes séparément (d’autant que l’une vit à Londres et l’autre en région parisienne), qu’il doit longuement les voir mais une seule fois et enfin qu’il ne doit pas s’approprier leur parole dans une pièce qu’il écrirait à partir de leurs témoignages. De même, côté théâtre, avant même de rencontrer Paul et Wlodka, il avait choisi les deux acteurs Marie Desgranges et Antoine Mathieu. Il se rendra compte, après coup, qu’aucun des deux n’était juif. Ce qui n’est pas son cas. Lescot est en symbiose avec les propos de ces rescapés qui retenaient leurs souvenirs au fond leur gorge depuis tant d’années, avec leur univers, leur accent, le yiddish, le Bund ou encore « les colos de la CCE », que Lescot a raconté dans son attachant spectacle La Commission centrale de l’enfance.

D’une enfance l’autre

Ceux qui ont vu Ceux qui restent aimeront à en retrouver la partition et, partant à se remémorer les deux acteurs, les deux chaises. Ceux qui n’ont pas vu le spectacle et le verront peut-être (il va encore beaucoup tourner) découvrirons ces deux témoignages, prenants et parfois désarmants, où la mémoire va et vient au fil des deux longs entretiens entrelacés par Lescot.

Tout un jeu d’échos, de correspondance entre ces deux enfants errants partis du même immeuble, celui où ils habitaient avec leur famille, au 8 rue Leszno, à Varsovie. Peu avant la liquidation du ghetto, Paul en sort (avec sa famille) par les égouts, Wlodka (avec sa sœur) par une échelle. Et chacun se retrouve ballotté entre les caches et les séparations. Par lueurs soudaines, ces deux vieilles personnes retrouvent leur regard d’enfant. « Ce qu’il y a, c’est que pour moi, enfant, la vie a complètement changé puisque je ne n’étais plus jamais dehors », dit Paul. Et Wlodka : « Je me souviens d’avions qui venaient, je pense, d’Angleterre, et qui balançaient des choses avec des parachutes, je pense que c’était des médicaments. C’était palpitant ! En fait, j’ai aimé l’insurrection de Varsovie ! »

Quand Wlodka sort du ghetto, elle comprend que les Allemands ne pourront pas voir qu’elle est juive mais que « la population locale », elle, saura la reconnaître et donc pourrait la dénoncer. Lescot insiste : « Le danger, c’était les Polonais ? » Wlodka : « Oui, beaucoup gagnaient de l’argent avec ça, avec le chantage, ou bien ils touchaient de l’argent des Allemands. Pas tous, mais suffisamment pour que ce soit très dangereux. » Lescot enchaîne avec Paul qui, au sortir du ghetto, est pris en charge « par des trafiquants qui se faisaient payer pour sauver des Juifs ». Dans Géographie française (lire ici), l’homme de théâtre Gabriel Garran raconte de semblables histoires ; lui, enfant juif dans la France occupée.

David Lescot, Ceux qui restent, collection Haute enfance, Gallimard, 128 p., 16,40€.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.