Georges Banu était un boulimique. Il dévorait des spectacles, il n’en avait jamais assez. Il écrivait des livres, à peine le dernier publié, il commençait déjà le prochain. Il était d’un appétit insatiable, il ne voulait rien perdre, pas la moindre bouchée de mots, par la moindre bouffée de spectacle. Au fil des ans, son corps avait fini par réclamer, en vain, des pauses. Il était de tous les buffets, de tous les colloques. Il débordait de partout. Les digues ont fini par céder, il est mort le 21 janvier, l’année de sa quatre vingtième année.
Il parlait peu de son enfance roumaine, de ses années d’études, de sa réputation de jeune critique théâtral insolent, pas simple de faire sa route dans la Roumanie de Ceausescu. Comme beaucoup d’intellectuels roumains de sa génération, il était francophile.Il préféra fuir son pays natal où son avenir professionnel était incertain, pour gagner Paris en 1973.
La Sorbonne l’accueillit, puis l’université de Louvain la Neuve. Les théâtres lui ouvrirent leurs portes à commencer par Antoine Vitez alors à Chaillot. Un temps il chroniqua la vie théâtrale pour d’Artpress. Longtemps il participa auprès de Michelle Kokosowski à l ‘aventure de l’Académie expérimentale des théâtres.
Il devint secrétaire (1985-1992) puis président (1994-2000) puis membre d’honneur de l’Association internationale des critiques de théâtre, postes qui lui permirent de voyager à travers le monde,ce qui était assez cocasse car, depuis longtemps, Georges n’écrivait plus de critiques mais multipliait les essais et cela dès le début des années 80, à raison d’un livre tous les ans ou tous les deux ans. Certains en liaison avec les séminaires qu’il animait auprès de ses étudiants à l’université comme Les répétitions de Stanislavski à aujourd’hui (Actes sud 2005), d’autres en liaison avec ses voyages comme L’ acteur qui ne revient pas ; journées de théâtre au Japon (repris en Folio), d’autres encore, plus historiques ou thématiques comme Le rouge et l’or, une poétique du théâtre à l’italienne (Flammarion, 1989) ou Le rideau ou la fêlure du monde (Biro, 1997). Après les changements dans son pays natal, il revint de plus en plus souvent en Roumanie, avec un statut hors normes, véritable figure du commandeur.
Son dernier livre, en 2001, était titré Les récits d’Horatio : portraits et aveux des maîtres du théâtre européen, ouvrage publié dans la collection « L’art du théâtre » qu’il animait depuis longtemps chez Actes sud. Il y abordait les entretiens qu’il avait eu au long de sa vie avec quelques grands maîtres de la mise en scène comme Brook, Grotowski, Kantor, etc. C’est le tutoiement qu’il préférait et de loin. Il aborda peu les auteurs modernes hormis Brecht, un peu plus des acteurs ( Les voyages du comédiens (Gallimard, 2012). Il écrivit beaucoup ,un peu trop vite parfois, mais c’était sa raison de vivre, allant jusqu’à écrire des livres oubliables comme L’oubli. Il auraitsans doute aimé être l’homme qui incarnerait une sorte de synthèse entre Roland Barthes et Bernard Dort, il ne le fut pas. Il fut Georges, l’ami roumain, il fut Georges Banu
En conclusion d’un des ses meilleurs livres, Notre théâtre la Cerisaie sous-titré cahier de spectateur (Actes Sud/ Académie expérimentale des théâtres, 1999), il écrivait :
« Sur ma table,un arbre en bronze argenté aux branches décorée de médaillons dot j’ignorais l’usage à l’heure de l’achat, plus tard seulement j’ai appris que je devais y placer des photos pour constituer mon arbre généalogique. Aujourd’hui il m’apparaît comme figure de cette cerisaie où les arbres accueillent les âmes défuntes. Lioubov y reconnaît sa mère, Pétia identifie la masse des serfs et parvient à communique à Ania sa funèbres vision. En regardant l’arbre en bronze argenté, je me souviens des troubles de la maîtresse qui rentre et de l’étudiant qui endoctrine, et alors je me refuse à remplir les médaillons. Afin de ne pas investir l’arbre de mes fantômes ».