430 rendez-vous, 257 « levers de rideau », 50 lieux. C’est du lourd. On aurait aimé un peu moins de spectacles avec une durée de vie plus conséquente. Donner un peu de temps au temps. Et non, il faut nourrir la bête, le marché, lequel est insatiable, en veut toujours plus. Conséquence : des spectacles à la durée de vie de plus en plus courte, ce qui est dommageable, surtout pour les compagnies les plus fragiles. La quasi-totalité des spectacles du Festival ne se donneront au mieux que six ou sept fois, que les metteurs en scène soient très connus et très attendus ou non, ce qui promet des batailles homériques pour obtenir l’un des 120 000 billets proposés à la vente. Précisons toutefois qu’une partie des spectacles du Festival sera à l’affiche de divers théâtres en France la saison prochaine.
Du Japon à l’Australie
Ainsi verrons-nous à Avignon les dernières productions de Frank Castorf (d’après Le Roman de monsieur de Molière de Boulgakov), Guy Cassiers (Le Sec et l’Humide d’après le livre de Jonathan Littell écrit en marge des Bienveillantes, et un autre spectacle en tandem avec Maud Le Pladec à partir du récent texte de Elfriede Jelinek, Les Suppliants), Katie Mitchell (Les Bonnes de Genet). Le Japonais Satoshi Myagi (venu il y a quelques étés avec une étonnante version du Mahabharata) ouvrira le Cour d’honneur du Palais des papes avec Antigone de Sophocle (« on a toujours besoin des Grecs », a lancé le professoral Py). Israel Galvan lui succèdera, ce qui ne déplaira pas à Georges Didi-Huberman qui a consacré un ouvrage à cet homme phénomène du Flamenco.
Si le Portugais Tiago Rodrigues va créer une nouvelle pièce (Souffle, les confessions de la souffleuse du théâtre national de Lisbonne), si une autre de ses pièces se retrouve dans la catégorie « théâtre jeune public » aux côtés d’une pièce de Pierre-Yves Chapalain et d’une autre d’Olivier Balazuc, la création de pièces nouvelles est un des points faibles de cette édition, même si l’auteur-metteur en scène-directeur Olivier Py créera une version scénique de son épais roman Les Parisiens à la Fabrica. Magnifique lieu, où lui succèdera un spectacle, inclassable et donc classé dans la catégorie « indiscipline », dont on ne sait rien, pas même le titre, no comment revendiqué par son auteur le Grec Dimitris Papioannou.
De l’Afrique à Taubira
C’est dans cette catégorie « indiscipline » que se nichent des formes nouvelles d’écritures hybrides, ceci expliquant en partie le déficit de nouveaux auteurs. On note dans cette catégorie un spectacle signé Lemi Ponifasio, qui nous vient d’Auckland, à partir d’un texte d’une poétesse syrienne, et une création de Dorothée Munyaneza qui ouvrira l’un des points forts : une présence affirmée de l’Afrique, et pas seulement de l’Afrique francophone. Huit pays seront à l’honneur, dont le Rwanda. Musique, danse, théâtre et une soirée dans la Cour d’honneur du Palais des papes sera consacrée au texte célèbre de Léopold Sédar Senghor, Femme noire .
Une soirée qui ne devrait pas déplaire à Christiane Taubira à qui Olivier Py a eu la bonne idée de confier le feuilleton quotidien qui, chaque jour à midi, fait les délices du jardin Ceccano. Sous le titre prêtant à confusion On aura tout, elle choisira dans sa riche mémoire, dans sa bibliothèque fournie et dans des archives d’assemblée et autres des textes parlant de l’homme, de la femme et de leurs droits. Les textes seront mis en scène par Anne-Laure Liégeois et portés en bouche par de jeunes acteurs, en particulier par des élèves du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris.
De Saïgon à la prison d’Avignon
C’est dans cette école qu’Olivier Py a été formé, et c’est l’école nationale invitée cette année. On y verra les élèves dans des mises en scène signées Yann-Joël Collin, François Cervantès et Clément Hervieu-Léger. Mais on n’y verra pas, hélas, un extraordinaire spectacle de clowns, présenté il y a quelques semaines (en parallèle du passionnant Roberto Zucco de Collin) par une partie de la promotion sortante ; une absence incompréhensible.
Autre centre d’intérêt habituel du Festival, les créations de la nouvelle génération de metteurs en scène hexagonaux. Caroline Guiela Nguyen explore son passé familial (et pas seulement) dans Saïgon ; Pascal Kirsch dont le dernier spectacle était une merveille et devient enfin reconnu, vient à la rencontre de La Princesse Maleine de Maeterlinck ; la toujours surprenante Fanny de Chaillé propose Les Grands à partir des textes du trop rare Pierre Alferi ; le Birgit ensemble poursuit son tour d’Europe avec Mémoires de Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes.
D’Italie viendront Emma Dante (une habituée) et Antonio Latella (un projet à partir des Atrides), d’Australie via Amsterdam on découvrira Simon Stone (autour d’Ibsen), de Géorgie les marionnettes admirables de Rézo Gabriadze nous enchanteront à coup sûr (une histoire d’amour entre deux locomotives soviétiques), du centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet un Hamlet aura une permission spéciale pour être joué par des détenus à la Maison Jean Vilar. Un spectacle, fruit d’un long atelier, mis en scène par Enzo Verdet et Olivier Py, lequel ne vit pas seulement à Avignon les mois d’été.
Etc. J’en oublie. Et je n’ai rien dit des rencontres, des débats, des films à Utopia, de la soirée Barbara avec Juliette Binoche et Alexandre Tharau. Je n’ai surtout rien dit des indispensables « Sujets à vifs » qui chaque année provoquent des duos surprenants et qui, pour fêter leurs 20 ans, s’offrent le bonus des facéties proposées par Frédéric Ferrer.
L’affiche, très intrigante (bon signe), est signée Ronan Barrot qui exposera ses œuvres à l’église des Célestins. On y voix deux corps. Le premier de dos, regarde vers la gauche tout en écartant les bras comme pour protéger l’autre corps, celui, s’accrochant peut-être à ce dos et lui aussi de dos, regarde vers la droite. Cette seconde personne, plus frêle, semble porter quelque chose dans son dos. Un sac à dos ? Un enfant ? Qui sont-ils ? Des voyageurs ? Des marcheurs ? Des festivaliers ? Des sans logis ? Des réfugiés fuyant un danger ?
Festival d’Avignon du 6 au 26 juillet. Programme complet début mai. Ouverture de la billetterie le 12 juin.