Nous migrerions tous
Si seulement cela était possible de fuir du pays
Si seulement cela était possible de déguerpir du continent
Si seulement cela était possible de s’échapper de la terre
Si seulement et seulement si était un lieu à l’abri de tout soupçon
Si seulement un lieu unique était préservé
Si seulement un lieu miracle était désigné
Si seulement un lieu quelque part
Si seulement ce lieu était
Nous migrerions tous
Nous partirions vers sa conquête
Nous serions des millions
Nous voudrions être des milliards
Nous emmènerions nos proches
Nous emmènerions nos patriarches
Nous emmènerions nos matriarches
Nous laisserions pour ce temps-là nos maisons
Nous laisserions tous nos faits et choses aimés
Nous laisserions tout un tas de choses derrière nous
Nous laisserions nos enfants peut-être
Peut-être nous laisserions ces jeunes esprits car moins facilement atteints que nous
Peut-être nous les laisserions avec leurs engins électroniques
Peut-être nous ne les emmènerions pas nos propres enfants
Nous nous séparerions sûrement d’eux peut-être
Nous préférerions leur gratifier de ces appareils pour les occuper
Nous maintiendrions serré le contact
Nous le leur expliquerions avec amour et tendresse
Nous ferions une petite échappée rien de plus
Nous ne partirions pas avec l’idée que nous abandonnons
Nous irions avec l’idée que nous nous retrouverons
Nous migrerions tout juste le temps de migrer
S’il y avait juste cette petite place quelque part où nous trouverions à nous poser
Tout juste le temps que la chose se tasse
Tout juste le temps que cette ombre s’efface
Tout juste le temps que le fléau se radie
Tout juste le temps que cette chose s’anéantisse de notre quotidien
Nous migrerions tous
Nous lutterions pour cela
Nous mettrions tous nos avoirs
Nous ferions valoir nos connaissances
Nous gagnerions dans les négociations
Nous couperions des têtes s’il le faut
Nous corromprions les plus tenaces des incorruptibles
Nous engagerions les plus coriaces des passeurs
Nous voudrions avoir le droit nous aussi
Nous voudrions avoir le choix de ne pas vivre cette attente
Attendre à nouveau le bégayant communiqué
Nous tournerions le dos à ces pays qui ne savent pas y faire
Nous ne comprendrions pas ces dirigeants dépourvus de si simples petits appareils
Nous ne comprendrions pas leurs jeux de masques
Nous leur serions impatients
Nous leur serions fortement revendicatifs
Nous ne leur laisserions nullement le temps de se réajuster
Nous partirions abasourdis de leur bêtise mais nous partirions
Nous n’en finirions pas de bonifier l’horizon qui nous attend
Nous ne ferions pas cas des mesures qu’on serait prêt à prendre pour nous expulser
Nous réussirions dans notre entreprise si coûteuse
Nous ne compterions pas du tout ce qu’on y a mis
Nous réussirions après tout
Nous ne verrions pas d’un bon œil ceux qui échoueraient
Nous nous garderions des parallèles avec ce que vécut le Sapiens depuis son Erectus
Nous en ferions un cas discursif et notre réflexion s’arrêterait là
Nous aurions des arguments de poids : nous étions dans l’urgence, cherchions des sorties
Nous devions en trouver
Notre réponse s’arrêterait là
Nous ne laisserions personne venir nous poser ces questions
Nous inventerions toutes les raisons du monde pour nous y opposer
Nous migrerions le plus simplement du monde
Si seulement cela était possible
Nous ne nous laisserions pas comme cela confinés
Nous ne laisserions pas qu’on nous arrache notre chère liberté
Nous ne laisserions personne nous commander de seulement manger et marcher une heure
Nous ne laisserions personne nous assigner une superficie d’un kilomètre exact
Nous migrerions jusqu’au jour où à nouveau encore nous devrions à nouveau encore migrer
Si seulement cela était possible
Et puisqu’il n’y a aucune frontière prémunie ni aucun pays préservé
Et puisque ce lieu hors de tout danger ce paradis sur terre n’existe nulle part
Et puisque nous sommes résolument tous presque tous assignés
tous dans l’enfer de notre confinement
Profitons d’octroyer à tous le droit de migrer sur la terre toute entière
Vivons pleinement le paradis de l’Utopie