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Billet de blog 24 novembre 2016

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Le festival Boréales ouvre « Le Livre de Dina » d’Herbjørg Wassmo

Voué aux pays nordiques, le festival Les Boréales fête ses vingt-cinq ans. Un programme foisonnant dominé par la littérature. Lucie Berelowitsch a adapté au théâtre « Le Livre de Dina » de la Norvégienne Herbjørg Wassmo venue à Caen, ville mère du festival.

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Illustration 1
Scène de l'opéra lituanien " Have a good day" © dr

La photo de l’ours qui tient lieu d'affiche au festival est bien léchée, l’animal, on ne sait pas. Il est peut-être un peu las d’être photographié, non pour lui-même, mais pour pour les symboles qui lui sont attachés (le grand Nord aux forêts enneigées, les vitres embuées par l’hiver à n’en plus finir, la mélancolie polaire, les animaux menacés, l’animal chéri des légendes et star des enfants, etc.). Pour l’occasion, l’ours s’est coiffé d’un bonnet de sapins. Car occasion il y a : on fête les 25 ans du festival Les Boréales, tous les festivals ne peuvent pas en dire autant.

Have a good day

Chaque année en novembre, les pays nordiques déferlent sur la ville de Caen et dans les départements alentour. Les metteurs en scène Oscar Korsunovas (Lituanie) ou Alvis Hermanis (Lettonie) tout comme le dramaturge norvégien Jon Fosse sont des habitués. Le festival a aussi une programmation musicale et cirque fournie, il n’est pas avare en expositions tout en restant fidèle à son socle premier : la littérature. Nombre d’écrivains du Nord ont fait le voyage jusqu’en Normandie.

Chaque édition met l’accent – sans s’y limiter – sur un ou deux pays, cette année l’Estonie et la Finlande (ne le dites à personne, mais allez faire un tour au café de l’institut finlandais à Paris, une niche de bien-être en plein Quartier latin).

A côté de la voix à la tristesse ensorceleuse de Mirel Wagner, jeune Finlandaise d’origine éthiopienne, ou de cette merveille qu’est Have a good day, un opéra contemporain et humain conçu par un team de jeunes Lituaniennes et racontant la vie quotidienne de dix caissières de supermarché, on pouvait voir Julia, d’après la pièce du nordique Strindberg Mademoiselle Julie, un voyage entre théâtre et cinéma qui a fait connaître en France la metteuse en scène brésilienne Christiane Jahaty (lire ici). Trois beaux rendez-vous. Il en est d’autres.

Et puis il y a les créations, réalisées pour le festival ou à son occasion. C‘est le cas du spectacle de Lucie Berelowitsch (artiste associée à la Comédie de Caen), Le Livre de Dina, d’après le roman éponyme au succès planétaire de la Norvégienne Herbjørg Wassmo, laquelle est venue à Caen parler de ses livres et voir le spectacle.

Divine et démente Dina

Au départ, Le Livre de Dina devait être une lecture par Marina Hands sous la direction de Lucie Berelowitsch qui avait dirigé l’actrice dans Lucrèce Borgia (lire ici), une proposition en concertation avec le directeur des Boréales, Jérôme Rémy. Et puis, la force de ce roman est telle que Lucie Berelowitsch a voulu aller plus loin : jusqu’au spectacle. La comédie de Caen a suivi, le festival aussi, entre-temps Marina Hands a dû quitter le projet en raison d’engagements pris en amont. Résultat, un spectacle répété en trois semaines, ce qui est un peu court pour laisser les acteurs prendre leurs marques, l’adaptation déployer ses lignes claires, l’éclairagiste peaufiner son travail. Pour l’heure, cela manque de nuances. Le spectacle devrait trouver son équilibre lors de la reprise au printemps au Théâtre de l'Union (où Lucie Berelowitsch est également artiste associée).

Illustration 2
Scène du spectacle "Le livre de Dina" © Tristan Jeanne Valès

En 2013, les éditions Gaïa ont réédité les trois parties composant Le Livre de Dina. De bout en bout, on suit la vie de l’héroïne, petite fille puis femme sauvage, puis mère, constamment rebelle, farouche, bousculant les normes, se réfugiant souvent dans le silence. Elle trouble, déstabilise son entourage dont elle perturbe les vies réglées, elle fascine les hommes d’autant plus qu’elle sait aussi se conduire en mec. Beau personnage ambivalent dominé par trois passions : les hommes, les chevaux et le violoncelle même si elle n’est pas une virtuose (l’auteur décrit maintes fois, le couple que forme l’instrument et les cuisses ouvertes de Dina).

Après un prologue époustouflant, l’auteure norvégienne maintient le cap d’une écriture au souffle tendu et comme resserrée par le paysage glacé, ne s’encombrant pas de longues phrases. Le récit est ponctué par de courts monologues de Dina, comme un journal de sa voix antérieure.

Histoire d’œil

Deux actrices se partagent le rôle de Dina. A la novice, Armande Boulanger, revient l’instinct, le rire, le caractère imprévisible du personnage, le violoncelle, la Dina enfant qui, accidentellement ébouillante à mort sa mère (dont la présence-absence accompagnera Dina toute sa vie). A la plus confirmée, Malya Roman, revient le côté passionné, sensuel, impudique, mâle.

Jonathan Genet (que l’on a souvent vu dans les spectacles de Christine Letailleur) et Thibault Lacroix (cofondateur avec Lucie Berelowitsch de la compagnie Les 3 Sentiers) se partagent les rôles d’homme : père, serviteurs, amants – en particulier celui que Dina surnomme Barabbas et qui le paiera cher. S’inspirant probablement de la cabane dans un jardin où souvent Dina va trouver refuge, le scénographe Pierre-Guilhem Coste propose un espace ouvert adossé à une longue serre, deux lieux en un, une façon fine de figurer autrement le personnage de Dina chez qui une facette en cache toujours une autre.

N’oublions pas le cheval, d’autant qu’il s’appelle Arto en hommage à Antonin Artaud. C’est un vieux routier des planches, il connaît la musique, pourtant son apparition sidère comme l’œil de l’homme ensanglanté et moribond qui s’ouvre et regarde Dina alors que le traîneau glisse dans le précipice aux toutes premières pages du livre. Le cheval du roman s’appelle Lucifer. A l’avant-dernier chapitre, une sale blessure sous la panse qui ne se ferme pas le condamne. Alors Dina, une fois encore, se parle à elle- même, parle au cheval et s’adresse à nous : « Je suis Dina, seule avec une massue et un couteau. Et le cheval. Sais-je seulement où frapper ? Oui ! Parce que je le dois. Je suis Dina qui parle à Lucifer. » Elle frappe, enfonce le couteau. « C’est moi qui suis assise dans toute cette rougeur chaude et qui reçois le cheval dans mes bras. Moi ! Qui vois ses yeux lentement devenir vitreux et embrumés. » Il aura fallu six cents pages pour que l’œil ouvert de l’homme du prologue se ferme dans les yeux du cheval. Comment traduire cela au théâtre ?

 Festival Boréales jusqu’au 27 novembre, programme détaillé sur le site (concert de Mirel Wagner le 26 nov.).

 Le Livre de Dina, dans la mise en scène de Lucie Berelowitsch, sera à l’affiche du Théâtre de l’Union à Limoges les 8 et 9 février.

 Le roman traduit du norvégien par Luce Hinsch est publié aux éditions Gaïa, 638 p., 24€.

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