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Billet de blog 25 février 2016

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50 ans après le discours d’Amiens par Malraux, les dits courts de Béziers par Ménard

Amiens fête les 50 ans de sa Maison de la culture inaugurée par André Malraux et son vibrant discours. Il n’y a pas de maison de la culture à Béziers mais un Robert Ménard haineux et sa défense faux derche du théâtre de boulevard.

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Amiens ne fut pas la première des maisons de la culture à ouvrir en province (il y avait eu Le Havre, Caen et Bourges) mais la première à être inaugurée dans un bâtiment imposant sorti du néant, une « cathédrale de la culture » toujours sur pied mais remodelée. Le 19 mars 1966, en arrivant à Amiens, Malraux demande à Philippe Tiry, nommé directeur quelques mois plus tôt, un coin où s’isoler pour parfaire (écrire ?) son discours. Tiry lui propose son bureau.

La métamorphose pour tous

Quand il y revient quelques heures plus tard, après avoir entendu Malraux prononcer un discours devenu justement légendaire, Tiry remarque dans la corbeille des papiers froissés : les brouillons manuscrits du ministre de la Culture. Il les conserva toute sa vie. Tiry racontait cet épisode avec le babil gourmand et le sourire en coin qui accompagnaient toujours ce grand serviteur du théâtre. Où sont passés ces brouillons ? Ils ne figurent pas dans le programme volumineux qui accompagne ce cinquantième anniversaire (riche en multiples événements) mais le discours de Malraux y est reproduit in extenso.

Discours de Malraux à Amiens pour l'inauguration de la Maison de la culture © Pierre Léglise

On est frappé en lisant (ou en écoutant) ce discours tourné vers l’avenir par combien il est magnifiquement hanté par la mort avec laquelle Malraux aimait dialoguer. Exemple : « (…) si le mot Culture a un sens, il est ce qui répond au visage qu’a, dans la glace, un être humain quand il regarde ce qui sera son visage de mort. La Culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre. Et pour le reste, mieux vaut n’en parler qu’à d’autres moments : il y a aussi les entractes. »

« volontiers franchouillard »

Le « reste », c’est ce dont il vient d’être question plus haut dans son discours : « le temps vide », « le loisir », « un temps qui doit être rempli par ce qui amuse ». « Bien entendu, poursuit-il, il convient que les gens s’amusent » et c’est aussi le rôle des maisons de la culture, mais pas seulement. Il faut que « le grand domaine mystérieux de la métamorphose soit donné à tous ». Tel est le grand rêve.

50 ans et un demi-siècle de décentralisation culturelle plus tard, le journal municipal de Béziers piloté par son maire Robert Ménard, tient un tout autre discours. Il n’y a pas de Maison de la culture à Béziers, mais un théâtre municipal et une autre salle municipale, Zinga Zanga. Plus question de mystère, de métamorphose mais d’un peuple contre l’élite, ce qui revient à insulter l’un en crachant sur l’autre. Il y a d’un côté le théâtre « ennuyeux », « un truc de bobo vaguement existentiel où il ne se passe pas grand-chose » et de l’autre, le vrai théâtre, celui où on est là pour se bidonner, se taper sur les cuisses. Dans un ignominieux détournement sémantique, Ménard nomme cela le « théâtre de boulevard ».  Sous ce vocable à ses yeux fourre-tout, il loge des auteurs comme Feydeau ou Courteline dont il oublie qu’ils sont montés par les chieurs élitaires qu’il brocarde et qui, as incontestés d’un autre genre, le vaudeville, n’ont rien à y faire. 

Qu’est-ce donc que le théâtre de boulevard selon lui ? « C’est le théâtre du peuple, celui des origines » – jusque-là, on croirait du mauvais Malraux, mais le journal municipal de Béziers poursuit : « Finalement, c’est un art du bon mot, volontiers franchouillard, un théâtre d’esprit gaulois, où la scène est une voie lactée, constellée d’éclats de rire. » Mieux vaut effectivement en rire. 

« Un machin conceptuel »

Se référant à l’émission mythique de l’ORTF « Au théâtre ce soir » où ont été biberonnés des auteurs comme Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce (futurs auteurs « vaguement existentiels »), le journal de Ménard opère un tour de passe-passe. Le théâtre de boulevard est un genre  avec des règles qui font son charme (et ses limites) et que l’on peut parodier comme l’a si bien fait Nicole Genovese dans Ciel, mon placard (lire ici). Or, dans la programmation biterroise, ce sont des one (wo)men shows qui tiennent lieu de « théâtre de boulevard » avec lequel ils n’ont rien à faire. Et du lourd (dans tous les sens du terme) : Michel Leeb, Laurent Baffie, Franck Leboeuf (ex-footballeur, auteur acteur de Ma belle-mère, mon ex et moi), Chantal Ladesou et… Michel Drucker. Tout en y mêlant le film culte qu’est devenu Le Père Noël est une ordure par l’équipe du Splendid (après le triomphe de la création théâtrale).

Il existe par ailleurs du côté de Béziers, un exemple de ce « machin conceptuel prétendument d’avant-garde qui fait bailler la plupart d’entre nous », cela s’appelle Sortie Ouest et c’est financé par la Région. Une refuge de la métamorphose, un théâtre de l’esprit et non un « théâtre de l’esprit gaulois ». Quant aux artistes qui accompagnent les festivités du cinquantenaire de la Maison de la culture d’Amiens, tels le chinois Tim Yip (magnifique exposition) ou Daniel Jeanneteau qui vient d’y créer La Ménagerie de verre de Tennessee Williams (on en reparlera), ils ne sont ni « volontiers franchouillards » ni résolument « gaulois », ils auraient plutôt tendance à nourrir « l’héritage de la noblesse du monde » dont parlait Malraux dans son discours.

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