
Agrandissement : Illustration 1

« J’ai commencé à traduire en traduisant Pouchkine » note Markowicz. Son enfance a été bercé par l’écrivain. Sa grand-mère (russe) qui le gardait souvent lui lisait du Pouchkine. « Je n’ai aucun souvenir d’une vie d’avant Pouchkine, comme si toute ma petite enfance en Russie ( jusqu’à l’âge de quatre ans) était indissociable de la langue, de la beauté de ses rythmes, de ses images ». Mais c’est avec sa mère, Daredjan Markowicz, « passionnée elle-même de Pouchkine » qu’il a établi toutes les entrées de ce dictionnaire amoureux.
D’Anna Akhmatova à Marina Tsvetaïeva, les noms d'écrivain.es russes abondent, toutes et tous ont dialogué avec Pouchkine. Akhmatova est la seconde occurrence de ce dictionnaire. Dans Un mot sur Pouchkine, elle cite l’une de ses dernières phrases prononcée , en français, sur son lit de mort (après le fameux duel avec D’Anthès) : « il faut que j’arrange ma maison ». Cette maison, pour telle, c’est toute la Russie. Et la poétesse de Saint Pétersbourg fait parler Pouchkine : « Je ne vous demande pas de comptes : / Dormez-bien -la force , c’est la loi./ Mais viendra le temps de notre honte:/ vous enfants vous maudiront pour moi » Comme ces vers sonnent fort aujourd’hui dans la Russie de Poutine comme ils sonnaient fort au temps, stalinien, d’Akhmatova.
Le père de Marina Tsvetaïeva fut le fondateur de ce qui est aujourd’hui le musée Pouchkine à Moscou. Moscou traverse toute l’œuvre de Tsvetaïeva, Markowicz s’en tient au cycle de poèmes titré A Pouchkine en 1931. « ils sont extraordinaires, ces poèmes, mais comment les traduire, comment les partager ? » s’interroge Markowicz qui préfère s’attarder sur un autre texte, Mon Pouchkine, qu’il a traduit, où Tsvetaïeva évoque la négritude de Pouchkine et sa statue au centre de Moscou, toute en noir. « De la statue de Pouchkine me vient cet amour insensé pour les Noirs, un amour de toute la vie, une fierté de tout mon être » clame Marina Tsvetaïeva qui a aussi traduit des poèmes de Pouchkine en français. C‘est sur la critique, amicale, de ces traductions que s’achève ce Dictionnaire amoureux de Pouchkine au terme d’un ouvrage dépassant les 570 pages.
Il y a des entrées comme brouillons, censure, dieu, duel, ennui, folie, hache, jeu , liberté ; sourire, des noms de personnages , des titres d’œuvres, des noms de villes comme Odessa ou Saint- Pétersbourg, des figures historiques comme Pierre le Grand, Napoléon ou Pougatchov, etc.
Rares sont les noms de pays mais Markowicz ne peut éviter la Pologne. « Voilà une entrée que j’aurais voulu ne pas avoir à faire » note -t-il pour commencer. « La Pologne en 1830-1831, s’est dressée contre l’oppresseur russe et sa révolte a été réprimée par un guerre impitoyable ». Des milliers de morts, des déportations en Sibérie, des exils en pagaille. Pouchkine a écrit trois poèmes sur cette guerre, « des poèmes à la gloire de la répression. Des poèmes dont je pense, plus je les relis, qu’ils sont honteux (sans parler du fait qu’ils sont étrangement mauvais) » insiste Markowicz. Il ne s’attarde pas et préfère, dans la même entrée parler de la présence du poète polonais Adam Mickiewicz dans divers écrits du poète russe.
Plus surprenant au premier abord, figure une entrée Daniil Harms, grand écrivain du XXe siècle, longtemps méconnu en France avant d’être remarquablement traduit, entre autres par Ivan Mignot (chez Verdier)., Markowicz voit en lui « le plus grand Pouchkiniste de sa génération ». Et de citer, paradoxalement, ce texte, si je puis dire, harmsissime du 15 décembre 1936 : « Pouchkine est un grand poète, Napoléon est moins grand que Pouchkine ». Et il en va de même , poursuit-il, pour Bismarck, Alexandre Ier, IIe, IIIe, « c’est juste des bulles de savon, comparés à Pouchkine. C’est tous les gens, d’ailleurs, qui sont des bulles de savon, comparés à Pouchkine. Sauf que, comparé à Gogol, Pouchkine lui-même, c’est une bulle de savon. Et c’est pourquoi, au lieu d’écrire quelque chose sur Pouchkine, je vais plutôt vous faire quelque chose sur Gogol. Encore que, Gogol, il est si grand que même c’est impossible d’écrire sur lui quoi que ce soit.Mais après Gogol, écrier quelque chose sur Pouchkine, je ne sais, ça fait pingre. Non, écrire sur Gogol, pas possible. Donc, le mieux, c’est que je ne vais vous écrire rien du tout sur personne ».
Parmi les entrées, figure le nom d’un village dans la région de Nijni-Novgorofd, Boldino, Un village qui appartenait à la famille de Pouchkine depuis le XVIe siècle mais qui avait perdu de sa superbe. A la veille de son mariage, le poète y alla, il pensait y rester quelques jours mais, bloqué par une épidémie de choléra, il y resta six mois et y écrivit nombre d’œuvres maîtresses. Une trentaine de poèmes dont les Démons , c’est là qu’il achève Eugène Onéguine (une première version qu’il détruira par la suite), mais aussi des nouvelles , mais encore ses « petites tragédies » sans oublier plusieurs contes. « A Boldino, j’ai écrit comme ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps » écrit il à son ami et éditeur Pletniov. A cet « Automne de Boldino » suivra un autre, trois ans plus tard ; en 1833. solitaire lui aussi et tout aussi productif: Le cavalier de Bronze, La dame de pique, plusieurs contes et son œuvre historique L’histoire de Pougatchov. Etonnant personnage qui organisa une révolte des paysans, se prétendit Tsar et finit par être décapité à Moscou en place publique
Pour ce livre, Pouchkine demande et obtient du tsar l’autorisation de travailler sur les archives. Des milliers de pages Mais il fait plus, il se rend sur place , interroge les paysans, lit des témoignages. Il en résulte deux volumes . Nous ne connaissons que le premier. A la fin des années 80, travaillant à Saint Pétersbourg, André Markowicz découvre ce second volume dont il ignorait l’existence. « Lire ce volume pour le traducteur que je suis est à la fois passionnant, bien sûr, et douloureux, Parce qu’il est intraduisible. Comment, en effet, « traduire en français le russe administratif, mâtiné de slavonismes et d’allemand des proclamations officielles? Comment rendre compte de la langue populaire de certains témoins ? Comment faire comprendre que ce que le lecteur a sous les yeux, dans ces pages, c’est bien plus qu’un livre d’histoire ? C’est un concert de de voix inconciliables, comme l’étaient les différents Etats qui composaient la Russie de l’époque -la composaient encore à l’époque de Pouchkine, et, d’une façon ou d’une autre, la composent encore aujourd’hui. Pas un mot de Pouchkine, et tout est de Pouchkine ».
Dictionnaire amoureux de Pouchkine par André Markowicz, Plon, 550 p, 28€