
Magique, oui il est magique le RER qui relie deux villes de Bourgogne, Dijon et Beaune. Chaque arrêt ou presque porte un nom de grand cru de la région. La vue des coteaux jusqu’à l’infini fortifie la rêverie. On est descendu à Gevrey Chambertin. Là, dans un hameau, une bâtisse qui ne la ramène pas, au carrefour de cinq modestes routes, un ensemble vérolé de mystères. Il ne reste presque rien de l’ancienne station service mais le garage est là comme endormi dans des odeurs d’huiles qui, avec le temps, embaument et embellissent les souvenirs que l’on se plaît à imaginer dans ce lieu comme arrêté dans le temps. Et il en va plus encore pour le café qui jouxte le garage. Fermé mais intact, du bois du comptoir à celui des chaises. Jean Renoir aurait pu y attabler l’un de ses films, Raymond Bussières, accoudé au bar devant un blanc sec, l’aurait salué. C’est là que les deux amants, sur la route du sud, se seraient arrêtés. Ils auraient commandé le plat du jour, la serveuse petite et brune comme Edith Piaf, longtemps après sa mort, en aurait parlé à Tiago Rodrigues. Je blague, non j’imagine. L’auteur et metteur en scène portugais s’en souviendrait lorsqu’il écrirait Le Chœur des amants, peut-être la plus douce et la plus déchirante de ses pièces.
La pièce ritournelle du Portugais nous attendait à Dijon, au festival Théâtre en mai, fleuron du Théâtre de Bourgogne (TDB), rendez-vous annuel et printanier du Cendre dramatique National depuis des lustres. L’établissement est désormais dirigé par l’actrice et metteure en scène Maëlle Poésy, qui connaît bien la ville et la région pour y avoir créé sa compagnie Crossroad à peine était-elle sortie de l’école du Théâtre National de Strasbourg. Elle connaît tout autant le CDN pour y avoir créé plusieurs de ses spectacles, associée six ans durant à l’ancien directeur, Benoît Lambert (parti, lui, diriger le CDN de Saint-Étienne). Des spectacles souvent conçus et élaborées avec, à ses cotés, Kevin Keiss (aujourd’hui associé à la direction de l’établissement), auteur, traducteur (du grec ancien, par exemple), universitaire et agitateur d’idées, réunissant toutes ces qualités sous un chapeau de paille qui ne le quitte jamais.
Claire Guièze (directrice adjointe du CDN) , Maëlle et Kevin ont conçu leur premier « Théâtre en mai » en privilégiant les artistes associé.e.s au projet : l’artiste norvégienne Yngvvild Aspeli, l’autrice Julie Ménard (avec l’Age de nos pères) , le metteur en scène David Geselson (avec Le silence et la peur ) , la metteure en scène Tamara Al Saadi (avec Brûlée.s. et enfin l’auteur Gustave Akakpo à travers un bal littéraire réunissant deux auteurs et deux autrices pour une manifestation plurielle composite sous le titre « La diversité est-elle une variable d’ajustement pour un nouveau langage théâtral non-genré, multiple et unitaire ? »
La diversité des formes est un maître mot qui traverse la programmation du festival ,de Cloé Moglia à Baro d’evel, du Munstrum théâtre à Miet Warlop . Le théâtre basé sur des verbatim, des documents ou des entretiens est un autre point d’insistance incarné par la Française Julie Ménard,l’Espagnole Lucia Miranda, voire même la performance dépourvu de mots mais non d’intensité de l’iranienne Roshanak Morrowatian (réfugiée aux Pays Bas) montrant l’anéantissement d’une petite fille de son pays en figure de cire. Sous la chaleur des projecteurs on voit son visage disparaître petit à petit dans ses propres larmes de cire. Une sorte de saisissement lent.
Maëlle Poésy, elle, nous fait découvrir une pièce de Linda Mclean, autrice écossaise contemporaine. Dans Gloire sur la terre, après bien d’autres auteurs de pièces, romans et films, l’autrice met en scène Marie Stuart revenue en Écosse après avoir passé son enfance et son adolescence en France et vu à 19 ans mourir son mari. Elle est catholique et héritière du trône, mais la Cour d’Angleterre s’est convertie au protestantisme. Marie va devoir affronter le redoutable et rusé John Knox, ardent partisan de la Réforme. Elle, la jeune reine d’à peine vingt ans, lui le cinquantenaire rompu aux intrigues et aux complots.
Fort heureusement, nous sommes à mille lieux d’une reconstitution historique au demeurant impossible car trouée de versions. En mettant en scène les affrontements de ces deux êtres radicalement opposés , Linda McLean déploie une écriture éclatée et chorale. Où Marie s’étoile entre plusieurs actrices qui font chœur.
Les répliques sont courtes, haletantes, cinglantes, arrivent par salves, une vibration constante extraordinairement rendue en français par deux traductrices expertes, Blandine Pélissier et Sarah Vermande qui ont déjà traduit neuf pièces de Linda McLean dont trois publiées chez Actes-sud papiers. L’autrice établit ce que l’on voit rarement en tête d’une pièce : un protocole d’élocution de son texte où, par exemple « la taille de la police indique le volume vocal » ,où « Ahhh est une inspiration » et « Hahhh est une expiration », etc.
Au sol, un rectangle délimité par des bandes blanches. Sur les quatre côtés, des chaises sur deux rangs, certaines sont occupées par les jeunes actrices et acteurs du spectacle issus du dispositif d’accompagnement du Théâtre de Bourgogne. Citons -les : Margaux Dupré, Lise Hamayon, Suzanne Jeanjean, Roméo Mariani, Alexis Tieno, Séastien Weber. Ils viennent de sortir de l’ERAC (l’école nationale de Cannes) ou de l’école de Comédie de Saint Étienne et sont arrivées à Dijon en novembre dernier. Leur énergie, leur jeune dextérité, ne sont pas pour rien dans la puissante dynamique du spectacle qui leur doit beaucoup. Les années de Maëlle Poésy à la tête du CDN commencent bien.
Ce spectacle s’inscrit dans le dispositif « passe-muraille » du Théâtre de Dijon qui vise à présenter des spectacles hors les murs, dans les villages, les lycées.... Gloire sur la terre l’est présentement dans un coin de la cour du Palais des Ducs de Dijon après avoir été crée en janvier dernier au lycée Stephen Liégeard de Brochon (21).
Il est temps d’aller retrouver nos deux amants. Le temps du festival, ils ont trouvé refuge en dehors du centre de la ville, au Théâtre Mansart, l’une des scène habituelles de « Théâtre en mai ». Il y a vingt ans, un jeune acteur-auteur nommé Tiago Rodrigues écrivait sa première pièce : Chœur des amants. Tout était déjà là en germe dans ce qui allait constituer au fil des années l’humus de son théâtre : un dispositif scénique et narratif simple, une construction où la répétition joue avec l’accumulation, un zeste de rouerie qui confine à la subtilité, une écriture d’une fluidité magique, un goût effréné pour le tête-à-tête, un cœur gros comme ça. Chœur des amants n’est pas une scène de ménage à deux. Comme le titre l’indique c’est un chant à deux voix lesquelles raffolent de l’unisson.
Un soir, le cœur de l’aimée lâche. L’aimé, tenant le fil de la vie de l’aimée, l’emmène à l’hôpital dans sa voiture pourrie. Vivra-t-elle ? Vivront-ils encore l’un auprès de l’autre ? Entre angoisse et espoir, la vie joue des coudes. Ils racontent ensemble, en même temps, à deux voix. Ils font chœur. et quand l’un s’arrête pour respirer, l’autre le prolonge. On respire avec eux. Comme si David Geselson et Alma Palacios nous prenaient par la main pour toucher du bout des doigts leur théâtre de l’infime. L’un et l’autre étaient sur la scène du théâtre de la Bastille à Paris lorsque les acteurs de Tiago avaient « occupé » le théâtre autour de lui, mémorable souvenir..
Pour cette re-création, Tiago Rodrigues a écrit un additif : on retrouve le couple treize ans plus tard. Laissons-là les amants et notre absolu ravissement. 50 minutes de douceur. Sans compter les applaudissements. Il est des soirs où le théâtre est une caresse qui donne le frisson..
Gloire sur la terre, dernière ce soir 21h Cour de Bar- Palais des Ducs
Choeur des amants, créé le 27 nov 2020 au Théâtres des Bouffes du nord, le spectacle y sera de retour cet automne, après Dijon il sera à l’affiche de l’Espace 1789 de Saint-Ouen du 31 mai au 1er juin,puis au Théâtre de Nice du 7 au 9 juin. Le texte est édité aus Solitauires Intempestifs.
Le festival Théâtre en mai s’achèvera le dimanche 29 mai. Tous les soirs ou presque Joëlle Gayot et Alexandre Plank animent une « radio en mai » au parvis Saint Jean.