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Billet de blog 25 août 2015

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Festival d’Aurillac : tous ensemble avec le Théâtre de l’Unité

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Illustration 1
© christophe Raynaud de Lage

Il y a trente ans, le Théâtre de l’Unité était à Aurillac pour le premier festival. C’était l’une des deux compagnies françaises (l’autre, c’était Zingaro), les trois autres étaient étrangères. Cette année, une seule compagnie est étrangère, les dix-huit autres sont françaises mais certaines sont autant, sinon plus, connues à l’étranger. C’est le cas du Théâtre de l’Unité qui revient à Aurillac pour la sixième fois. Avec leur dernier spectacle Macbeth dans la forêt ? Non, avec le « Parlement ».

« Et si on faisait une commune libre d’Eoutive ? »

Tout commence à Amiens en 2006 dans le quartier d’Etouvie. Amiens a appelé le Théâtre de l’Unité comme on appelle l’assistance sociale, le sociologue, l’éducateur spécialisé et pour les mêmes raisons : voir ce que l’on peut faire pour sortir de sa torpeur un quartier mal loti, avec un taux de chômage record. Le théâtre de l’unité aime ce genre de situation où il y a tout à inventer. Cette année-là, avec les habitants,  ils ont inventé « La tour bleue ». Ils y sont revenus en 2013, toujours à la demande du même maire, Jean-Pierre Marcos. Ils avaient laissé un bon souvenir, quand ils ont demandé à discuter avec cinquante personnes, il n’a pas été difficile de les trouver. Jamais à court de concepts et de propositions, l’Unité leur a proposé de former « Le cercle de l’idiotie ».

Chacun propose une idée pour le quartier, même complètement idiote, il est interdit de la critiquer. Les idées fusent. Comme celle de kidnapper une équipe télé pour qu’on parle enfin de leur quartier au JT. Et puis un habitant propose : « et si on faisait la commune libre d’Etouvie ? », avec ses lois, son hymne. L’idée fait l’unanimité. Chacun propose une ou plusieurs lois, on discute. Un an plus tard, « dans une atmosphère prérévolutionnaire, les lois sont soumises au vote du quartier », se souviennent Jacques Livchine et Hervée de Lafond (le couple fondateur du Théâtre de l’Unité) comme ils le racontent dans La Vérité, le journal éphémère du festival d’Aurillac. « Sans le faire vraiment, nous avons réinventé la démocratie, le pouvoir du peuple. »

Le Parlement d’Aurillac

C’est à partir de cette expérience qu’ils ont imaginé le « Parlement » durant le festival d’Aurillac, en embarquant dans l’aventure neuf habitants du quartier d’Etouvie. Le matin, dans la salle du centre socio-culturel Pierre Mendès-France, vient qui veut et chacun a le loisir de proposer une loi. On écarte les coups de gueule et autres protestations, on affine la formulation et l’auteur s’engage à venir défendre sa loi le soir même à 18h, à deux pas de là, dans le jardin des Carmes, dans une agora en plein air que dominait naguère un gigantesque séquoia dont il ne reste que la souche. C’est un moment solennel mais surtout festif. Chaque jour, il rassemblera un public de plus en plus nombreux.

Auto-proclamée présidente de ce parlement provisoire et se faisant appeler « Madame la provisoire », Hervée de Lafond trône en haut du perchoir, en l’occurrence une chaise haut perchée d’arbitre de tennis. Chacun défend sa loi. Anne de Cachan : « nationaliser les banques de dépôts et les séparer des banques d’investissements. » Boris d’Aurillac : « supprimer les défilés militaires du 14 juillet. » Sylvie d’Amiens (quartier d’Etouvie) : « au lieu de s’engager dans des mariages à vie et pour éviter bien des divorces, je propose des mariages en 3 (jours), 6 (mois), 9 (ans, le temps de tester les marmots). » Chaque loi est discutée, puis mise aux voix. La même Sylvie (une future députée ?) proposera également de « remplacer le QI par le QDD : le quotient de la débrouille et de la démerde ». Les lois de Sylvie seront adoptées.

Madame la provisoire gère les interventions du public. A sa manière. Musclée. « Tais-toi, ta gueule ! », ainsi remet-elle en place un insistant, un maniaque de l’intervention, un vieux, un maladroit, une prétentieuse, un beau parleur. Elle a ses têtes, y compris de turc, « remballez-moi le sage hindou ! », lance-t-elle soudainement. Chaque jour davantage, la fatigue aidant peut-être, elle devient plus péremptoire, manipulatrice voire tyrannique. A ses pieds, Jacques Livchine essaie de la modérer, en vain. C’est aussi un jeu. Et c’est aussi un spectacle. Deux filles, les Chochottes, ponctuent de virgules chantées les oui (loi adoptée) et les non (loi refusée), la brigade d’intervention de Pau (autre invention de l’Unité, je vous renvoie à leur site) tout en habits rouges assure les passages de micro dans le public sous forme de sprint et s’adonne avec Livchine à des intermèdes parlés (citations d’Artaud, Fontane, Maïakovski, Lorca…) en alternance avec les chansons tiers-mondistes et libertaires de Didier Super.

Un habitant d’Oradour-sur-Vayres (750 hab.) propose une loi pour qu’il y ait plus de culture dans les zones rurales. Adoptée ! Une vieille dame qui aime écrire des lettres propose que le prix du timbre soit définitivement fixé à 55 centimes. Loi adoptée ! Suite à des manipulations de vote « Madame la provisoire » qui, sans doute, n’aime pas les enfants et encore moins l’école, s’arrangera pour faire refuser une loi, pourtant intéressante, proposant l’enseignement de la philo dans toutes les classes depuis la maternelle. 

Une bonne cinquantaine de lois seront ainsi votées. Toutes seront envoyées aux ministres concernés, au premier Ministre et au Président de la République.

Plus discrètement, à la veille du festival, l’Unité avait organisé en préambule au « Parlement » un « Placotage » sur la démocratie avec des grands témoins. Parmi eux, Joseph Spiegel. Ce maire de Kingersheim raconta comment selon lui, les « réunions de quartiers » sous la houlette des élus ne sont que de la « fausse démocratie ». Lui, considérant que la démocratie, la vraie, est « l’oxygène de la République », a organisé dans sa commune une « maison de la citoyenneté ». Avec des « conseils participatifs » dans la ville et non en mairie où l’on met en pratique une « coproduction de la décision ». Passionnant.

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