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Billet de blog 25 décembre 2024

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« Le soulier de satin », par la la Comédie-Française, un enchantement monstre

REPRISE. Il y a 37 ans, la mise en scène d’Antoine Vitez dans la Cour d’honneur du Palais des papes, commençait à 22h et s’achevait au petit matin. Il en sera de même pour celle d’Eric Ruf, son dernier spectacle à la Comédie-Française comme administrateur, Créé salle Richelieu; le spectt repiis au Festival d'Avignon dans la Cour d'honneur. a magie foudroie de bout en bout.

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Illustration 1
Scène du "Soulier de satin" © Jean-Louis Fernandez

Oh quel long et beau voyage aux sources et au cœur du théâtre autant que de l’amour que cette nouvelle mise en scène du Soulier de satin. Une continuelle splendeur portée par les actrices et les acteurs qui, hier (Vitez) comme aujourd’hui (Ruf), sont comme portés et emportés par cette pièce-monde. Un enchantement monstre.

On comprend que Ruf, avant la fin de son dernier mandat comme Administrateur de la Maison de Molière, ait eu envie de monter Le soulier de satin, là même où la pièce avait été créée en 1943 par Jean-Louis Barrault. Ce dernier, entré dans la troupe en août 1940, y avait retrouvé Madeleine Renaud, son grand amour. Une version écourtée pour cause de couvre-feu.

L'Administrateur-décorateur et metteur en scène a magnifiquement tiré profit d’une contrainte: les ateliers de la Comédie-Française étant en travaux (programmés) en cette fin d'année 2024, pas question d’y construire un décor. Et si l’on montait Le soulier de satin, sans rien ou presque, sans palissades, sans murs, sans portes ni fenêtres, sans salon, sans auberge, sans toiles peintes pour l’occasion ? La proposition de Ruf cachait sans doute un rendez-vous secret.

Yannis Kokkos, le décorateur de Vitez disait déjà que le metteur en scène et lui avaient voulu considérer la Cour d’honneur du Palais des papes « comme un théâtre de poche en imaginant « Le Soulier de satin » joué sur un petit plateau de bois, posé comme un radeau sur une mer de toiles bleue, tendue sur un horizon en ellipse ». Transformant la contrainte en belle opportunité, Ruf va plus loin dans le dénuement. Le plateau est vide, adossé au fond de la scène à la machinerie fixe de la salle Richelieu qui, bien sûr, rappelle celle des bateaux à voiles, sa source. Et il en sera question de voiles et de mers au fil des quatre Journées que compte cette pièce-océan. Plus tard, viendront occuper le fond de la scène des grandes  toiles représentant des visages de saintes ( un personnage de la pièce est un peintre), comme si le gouffre noir du plateau vide avait besoin de balises. A mes yeux, la présence trop envahissante de ces toiles, est la seule faiblesse, passagère, du dispositif. Largement et magnifiquement compensée par le travail conséquent et collectif de la troupe. Notons que Didier Sandre (Don Pelage) reprend avec hauteur le rôle tenu naguère par Antoine Vitez, alors qu’il était le Don Rodrigue de ce dernier. Notons enfin que Marina Hands porte haut, très haut, le rôle de Doňa Prouhèze tenu naguère chez Vitez par Ludmilla Mikaël, sa mère.

La Première des quatre journées s’ouvre par l’Annoncier et la femme qui l’accompagne chargés de mettre le public au parfum : « la scène de ce drame est le monde et plus spécialement l’Espagne à la fin du XVIe, à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe ...». Ils reviendront au début de la Deuxième journée. Ruf les fait revenir aux deux journées suivantes. Dans cet exercice délicieux, Serge Bagdassarian et Florence Viala, ont tôt fait de mettre le public dans leur poche, ils interprètent également d’autres rôles comme bon nombre de leurs camarades. Ce n’est évidemment pas le cas de Doňa Prouhèze,  ni celui de Don Rodrigue octroyé à Baptiste Chabauty dont l’interprétation se bonifie au fur et à mesure que la pièce avance et que le personnage vieillit (« plus de dix ans » passent entre la Deuxième et la Troisième journée).

L'excellence de la troupe (une quinzaine d’actrices et d’acteurs permanent.e.s, sans compter celles et ceux de l’Académie maison), une attachante partition musicale de Vincent Leterme, présent sur scène avec trois musicien.nes, les lumières subtiles signées Bertrand Couderc et les costumes  de Christian Lacroix qui a su formidablement fouiller dans le riche stock de la maison en donnant une nouvelle vie à de vieilles et riches nippes, et une direction de jeu toujours en alerte, tout concourt à la magnificence de la soirée, gages de l’attention d’un public sans cesse relancée par l’intrigue où l’on se perd parfois avec délice pour mieux s’y retrouver.

Alors, on suit le fil des amours de Prouhèze mariée au juge Don Pélage (Didier Sandre) mais amoureuse de Don Rodrigue qu’elle n’a pourtant vu qu’un seul jour; elle lui envoie une lettre qui mettra...dix ans avant de lui parvenir. Entre temps elle aura rejoint Don Camille (Christophe Montenez) fou d’elle et mourra entre la Troisième et la Quatrième journée. Alors, on suit Doňa Musique (Édith Proust) qui tombe amoureuse du vice-roi de Naples (Birane Ba) et aura de lui un enfant qui deviendra Jean d’Autriche lequel rencontrera Doňa Sept Épées (Suliane Brahim en alternance avec Édith Proust), la fille spirituelle de Don Rodrigue, laquelle n’apparaît qu’à la Quatrième journée qui se passe sur mer « au large des îles Baléares ». Vieux, usé, épuisé, ayant perdu une jambe, don Rodrigue comprend, au son d’un trompette, que sa fille est sauvée.

Nombres d’actrices comme Danièle Lebrun et d’acteurs comme Laurent Stocker ou Christian Godon interprètent jusqu’à quatre rôles. On s’y perds parfois, on s’y retrouve toujours, le verbe de Claudel nous ensorcelle, la troupe avance groupée, Ruf orchestre le tout avec maestria.

Au début du spectacle, l’Annoncier de Ruf avait cité une note de Claudel à propos du Soulier : « Il faut que tout ait l’air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme ! Avec des réussites si possible, de temps en temps, car même dans le désordre il faut éviter la monotonie. L’ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l’imagination ». C’est exactement cela. Le délice est encore plus aigu pour les fervents de Claudel (malgré qielques coupes) , lesquels voient sous l’amour entre Don Rodrigue et Doňa Prouhèze, les traces de l’amour fou qui lia Paul Claudel -ce fervent catholique marié à l’église-, à une femme mariée, Rosalie Vetch, son Ysée (Partage de midi), sa Prouhèze.

Reprise au Festival d'Avignon à 22H les 19, 20 puis du 22 au 25 juillet, 8h avec entractes.

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