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La faculté des rêves est le roman d’une fascination. Celle de l’écrivaine suédoise Sara Stridsberg pour Valérie Solanas. Fascination induite par la lecture de son texte SCUM manifesto ( disponible en traduction aux Editions Mille et une nuit) que Solanas auto-édite en 1967 avant qu’il ne soit publié par Maurice Girodias (Olympia Press, premier éditeur du livre de Nabokov, Lolita, roman qui inspirera en partie le roman Darling river à Sara Stridsberg). Première phrase du manifeste SCUM: « Vivre dans cette société, c'est au mieux y mourir d'ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu'à renverser le gouvernement, en finir avec l'argent, instaurer l'automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin ». SCUM ? Society for Cutting Up Men. Mais aussi scum : crasse, excrément, pourriture. Une charge massive , explosive et drôlatique contre le patriarcat plus qu’un livre féministe..
Un livre stupéfiant
Valérie Solanas est aussi connue, voire plus encore, pour avoir tiré trois balles sur Andy Wahrol auquel elle avait confié une pièce Up your ass (Dans ton cul) dont il dira avoir égaré le texte. Il la fait vaguement participer à quelques uns de ses films. Wahrol frôle la mort, ne s’en remettra jamais tout à fait, mais refusera de témoigner au procès que l’état de New York intente contre Solonas qui ira d’hôpital psychiatrique en hôpital psychiatrique.
La fascination de Sara Stridsberg est redoublée par le peu que l’on sait de la vie Valérie Solanas, femme extrême et entière, violée par son père ou son beau-père, gardant une durable affection pour sa mère Dorothy, finançant ses études en se prostituant, aimant une femme Cosmogirl et finissant sa courte vie (52 ans) au Bristol hôtel, un minable hôtel pour cas sociaux de San Francisco. Sara Stridsberg s’y rendra après avoir écrit son livre - « Jamais je ne suis allée dans un endroit qui ressemble autant à la mort ». Elle dédiera La faculté des rêves à tous les locataires de cet hôtel - »des hommes perdus, des femmes perdues »- où l’on avait retrouvé le corps de Valérie Solanas en avril 1988 couvert de vers, plusieurs jours après son décès.
Dans La faculté des rêves, Sara Stridsberg n’écrit pas la biographie de Valérie Solonas, elle la rêve, la réinvente, mêlant des faits attestés à des scènes imaginaires, faisant dialoguer une narratrice avec Solanas, réinventant les répliques inouïes que Valérie Solanas lance dans la cour d’Assise et que le Président du tribunal refusera de les voir consignées. C’est un livre stupéfiant, déglingué et envoûtant, y compris dans sa composition éclatée qui bouscule la chronologie et multiplie les dialogues. Publié en 2006, à Stockholm, il a été traduit par Jean-Baptiste Coursaud, chez Stock et disponible aujourd’hui en poche.
Une actrice stupéfiante
La faculté des rêves, le spectacle, est aussi l’histoire d’une fascination. Celle d’un metteur en scène, Christophe Rauck pour une actrice, Cécile Garcia Fogel. Ils se connaissent depuis longtemps, Rauch lui a offert de beaux rôles puisés dans le répertoire, manquait une héroïne d’aujourd’hui où elle pourrait déployer ce que le metteur en scène nomme justement « la singularité » de son jeu, fait d’âpres douceurs, de saccades rieuses, de gouffres sombres, de jaillissements du corps inattendus, de souplesse féline, arrêtons-nous là, sa gamme est infinie. L’autrice Nathalie Fillon qui fait des interventions à l’école théâtrale du Nord attachée au CDN que dirige Christophe Rauck a fait lire à ce dernier la pièce que Sara Strindsberg avait tiré de La faculté des rêves. Rauck a préféré en revenir au texte et en demander l’adaptation à Lucas Samain, l’un des deux auteurs sortis d’an dernier de l’école.
La faculté des rêves, livre de plus de 450 pages, est composé de cinq séquences. Chacune, dans le désordre, traverses différents lieux, événements et époques: les été à Ventor en 1945, la Cour d’assises de Manhattan le 3 juin 1968, l’hôtel Bristol en avril 1988, mais aussi l’université du Maryland à la fin des années et au début des années 60, la Factory, le Chealsa hôtel, les différents hôpitaux psychiatriques, etc. Mais encore la voix de Valérie racontant les viols répétés sur une balancelle par son(beau) père, ou des extraits du manifeste SCUM. sans compter les dialogues récurrents avec la narratrice. Un livre étoilé. En cinq parties également, l’adaptation de Lucas Samain ouvre chacune par une scène à la Cour d’Assise. Samain parvient, en condensant le roman tout en privilégiant les dialogues, à restituer le mouvement incessant du livre et la plupart de ses lieux et personnages. Bel exploit .
Si des dates sont projetées sur un écran, avant tout pour souligne la non-chronologie du récit, Christophe Rauck et sa scénographe Aurélie Thomas, ne cherchent pas à historiser la pièce. A gauche, au fond, une balancelle sans âge, à droite un grand écran vitré composé de cinq vitres qui peuvent s’opacifier, figurant abstraitement plusieurs lieux. Un canapé rouge, une caméra et une perruque blonde suffisent à dire la Factory. Anne Carrière (la narratrice, Mélanie Menu (Cosmogirl)Christèle Tual (Dorothy), David Houri et Pierre-Henri Puente se partagent tous les rôles hormis, bien sûr, celui de Solanas ui préférait « vendre sa chatte plutôt que son âme ». La faculté des rêves, le livre de Sara Stridsberg est inclassable , La faculté des rêves, le spectacle de Christophe Rauck l’est tout autant tout comme le jeu de son insaisissable interprète Cécile Garcia Fogel.
Théâtre du Nord suivi par une tournée Théâtre des Ilets, CDN de Montluçon, au T2G, CDN de Gennevilliers, au Monfort/ Théâtre de la ville, le spectacle est repris au Théâtre de Nanterre Amandiers du 17 mars au 8 avril, puis il sera les 13 et 14 avril à l'Onde de Velizy