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Billet de blog 26 mars 2015

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Martine Schambacher, Anne Cantineau, Sarah-Jane Sauvegrain : trois désirs d’actrice

Il arrive que des spectacles soient infléchis par l’amour qu’un metteur en scène porte à une actrice, à un acteur, ou à un couple formé par un acteur et une actrice (toutes les combinaisons sont possibles), il arrive que le spectateur reçoive cet amour comme une offrande et l’honore de ses feux. Trois spectacles récents déploient les ailes de ce désir.

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Illustration 1
© Vincent Arbelet

Il arrive que des spectacles soient infléchis par l’amour qu’un metteur en scène porte à une actrice, à un acteur, ou à un couple formé par un acteur et une actrice (toutes les combinaisons sont possibles), il arrive que le spectateur reçoive cet amour comme une offrande et l’honore de ses feux. Trois spectacles récents déploient les ailes de ce désir.

Sarah-Jane Sauvegrain, belle Marianne

Pourquoi Frédéric Bélier-Garcia qui dirige le nouveau théâtre d’Angers a-t-il mis en scène Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset ? Pour une jeune actrice, qui apparaît tout de blanc vêtue, au centre de la scène quand le rideau se lève, Sarah-Jane Sauvegrain, l’interprète de Marianne. Elle sort du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique, c’est probablement son premier grand rôle. Un beau rôle.

L’obéissante Marianne a fait un mariage de raison avec un homme plus âgée qu’elle. Le timide Célio en pince pour elle, il délègue auprès de la belle Octave, un cousin de Marianne, laquelle va tomber amoureuse de ce cousin noceur et buveur. Un amour non payé de retour. Vilar avait exhumé cette pièce parfaitement romantique avec Gérard Philipe dans le rôle d’Octave et Geneviève Page dans celui de Marianne. Après la mort de Gérard Philipe, un coffret réunissant plusieurs 33 tours donnait de larges extraits sonores de plusieurs spectacles du TNP, le coffret figurait dans la discothèque de mes parents et j’entends encore la voix de l’acteur se casser sur le finale : « Je ne vous aime pas Marianne, c’était Célio qui vous aimait. »

Illustration 2
© Brigitte Enguerand

Ni le Célio, ni l’Octave de Bélier-Garcia ne font le poids devant cet écrasant souvenir. Mais la jeune Sarah-Jane Sauvegrain dame le pion à Geneviève Page d’une belle façon en nous montrant la sauvagerie, voire l’effronterie de sa Marianne qui s’éveille puis s’affirme au fil des actes. Une Marianne moderne. L’actrice est éclatante. Elle a d’autant plus de mérite qu’elle évolue dans un décor balourd, une mise en scène qui multiplie les gros effets et ne brille pas par sa subtilité. Mais Frédéric Bélier-Garcia est fasciné par sa jeune actrice, il lui sera beaucoup pardonné.

Martine Schambacher, détonnnate Dorine

Metteur en scène d’une toute autre envergure, Benoît Lambert dirige à Dijon le théâtre de Bourgogne. Il monte Tartuffe, quelques mois après celui, passionnant, proposé par Luc Bondy à l’Odéon. La pièce se prête à bien des interprétations et celle de Lambert tient tout autant la route. Lambert se détache du temps de Molière et de l’hypocrisie religieuse que l’auteur dénonçait. Transposé dans une époque plus contemporaine, son Tartuffe est un malfrat, un affairiste, là pour piquer le pognon des riches (en l’occurrence celui d’Orgon, genre industriel ou banquier), un « voyou sympathique », ose dire Benoît Lambert. N’exagérons rien. Cependant il est assez piquant et même réjouissant de voir cette mise en scène après avoir lu dans la presse les comptes-rendus d’audience croquignolets du procès autour du fric de Madame Bettencourt.    

Dans Tartuffe, il y a un personnage qui joue un rôle particulier : c’est Dorine, la suivante de Marianne, la fille d’Orgon qui aime Valère mais que le père veut marier à Tartuffe. Bien plus qu’une suivante, c’est un démiurge, une meneuse de revue, c’est elle qui, sans la ramener, manigance tout en prenant soin de tout le monde. Toute la sympathie de Molière va à cette ingénieuse servante. Et tout cela, dans la proposition de Lambert, est porté au pinacle par l’actrice Martine Schambacher. Il faut la voir veiller aux grains, servir des petits verres, inventer des petits gestes de vie et offrir un brouet d’humanité à son personnage. Benoît Lambert avait déjà travaillé avec elle en la mettant en scène dans le formidable Que faire ? qu’elle jouait en tandem avec François Chattot. Il savait ce qu’il faisait en la choisissant, et c’est avec sa complicité que l’actrice, mine de rien, infléchit le spectacle, et fait de Dorine, plus qu’ailleurs, le pivot de la pièce.

Au bout du film culte, une méprise

Au Théâtre de la Colline, on peut voir Il faut toujours terminer qu’est-ce qu’on a commencé, un spectacle conçu par Nicolas Liautard, directeur artistique de la scène Watteau à Nogent-sur-Marne. Le titre a un sous-titre : « (le mépris) ». Le spectacle est en effet inspiré très largement par le film de Jean-Luc Godard et du roman de Moravia dont s’inspirait le film, mais aussi de Dante et d’Homère. Le film devenu culte ne se résume pas à sa scène première (« Et mes fesses, comment tu les trouves, mes fesses ? », ajouté par Godard à la demande des producteurs, comme un miroitement de ce que raconte le film), à la sublime dernière scène face à la mer, ni à la musique de Delerue. Il y a aussi, entre autres, cette discussion noyée dans les arbres sur un chemin qui descend vers la mer entre Fritz Lang (le réalisateur) et Michel Piccoli (le scénariste) à propos d’Ulysse, reprise dans le spectacle tout comme la scène où, sur la terrasse de la maison de Malaparte à Capri, Bardot bronze à poil et reproche à son mari (Piccoli) de lui cacher le soleil. Mais ce qui dans le film est fluide, sur la scène, se ratatine, se raidit (paralysie de la mise en scène, faiblesse de certains acteurs).  

A quoi bon refaire laborieusement ce que le film offrait merveilleusement ? Le metteur en scène prétend s’être « plutôt librement » inspiré du film et du livre. Il s’y est plutôt englué. Le jour où je l’ai vu, le spectacle m’est apparu souvent sans rythme, et certains acteurs sans peps. Mais il ne faut jamais juger un metteur en scène sur un spectacle, il a le droit comme vous et moi, à l’erreur.

Illustration 3
© dr

La preuve par un autre spectacle du même Nicolas Liautard, Scènes de la vie conjugale d’après Ingmar Bergman, qui n’a malheureusement été présenté que deux fois. Cette fois, le metteur en scène ne cherche pas à coller au film  ni même à tous ses dialogues (et pour cause : le téléfilm de Bergman dure six heures) puisqu’il introduit dans le spectacle une scène empruntée à une pièce de Joël Pommerat et des dialogues nés d’improvisations. Le spectacle commence un peu mollement, mais il prend tout son sens et déploie son acuité quand le plateau se vide (des autres personnages et, petit à petit, du mobilier) pour laisser place aux deux acteurs interprétant Johan et Marianne, un couple.

Il est professeur de psychologie, elle est avocate, ils sont mariés, ont deux enfants (qui restent hors champ, hormis une inutile vidéo), tout va bien contrairement à un couple ami qu’ils reçoivent à dîner. Mais leur couple parfait et fier de l’être va se fissurer au fil des scènes, des ans, des aventures, des aveux, des séparations, des retrouvailles, du vieillissement.

Anne Cantineau et Fabrice Pierre, double intensité

Maître de l’introspection, Bergman creuse au plus profond dans un combat amoureux où le désir joue les trouble-fête, un combat incertain comme ces matchs de boxe où l’un des combattants à terre au troisième round, se remet en selle dans les rounds suivants avant de mettre l’autre au tapis pour, au gong final tomber dans les bras l’un de l’autre tandis que les arbitres ont bien du mal à les départager, à désigner un vainqueur.

Autant la direction d’acteurs était à la peine dans « le Mépris », autant Liautard est porté par ses interprètes et l’amour (vache, celui à la fois d’un dompteur et d’un entomologiste) qu’il leur porte. Fabrice Pierre (formé à l’école de Saint-Etienne, dans « le Mépris », il assure le bien job, mais ne nous embarque pas comme ici) et Anne Cantineau (sortie de l’Ecole du Théâtre National  de Strasbourg, elle était l’une des figures attachantes de L’Age des possibles, le film de Pascale Ferran tourné avec les élèves de sa promotion, elle explose dans Scènes de la vie conjugale). L’un et l’autre avaient déjà joué avec Nicolas Liautard qui a eu l’idée lumineuse de les réunir. Au-delà de l’histoire de ce couple, le spectacle raconte aussi sa propre histoire : au cours des répétitions et des représentations, à l'évidence, il s’est passé quelque chose entre ces deux acteurs, comme si l’un aidait l’autre à se grandir et réciproquement. Parfois un rôle transcende un acteur, une actrice, c’est le cas. Jamais sans doute Fabrice Pierre et Anne Cantineau n’étaient allés si loin dans leur jeu.

Certes les rôles sont magnifiques mais casse-gueule tout autant, il fallait être à la hauteur et ils le sont (même si la scène de baise est ridicule, comme toujours au théâtre, même si les micros hf sont plus un inconvénient qu’un avantage dans une petite salle). Anne Cantineau et Fabrice Pierre, elle plus encore que lui, ont su puiser au plus profond de leur être des pulsions insondables. Elle avec sa bille de clown est un peu un Auguste étonné de recevoir des claques. Sa Marianne impulsive se bonifie dans l’épreuve, victime (comme tout Auguste), elle renverse la donne et, plutôt passive, la voici motrice. Lui, le maigre cérébral est un peu un clown blanc. Son Johan voit son aristocratique maquillage-carapace de mâle veule et égoïste, couler, délavé par les larmes de l’homme qui pleure qu’il devient. L’actrice et l’acteur s’opposent pour mieux faire la paire, comme les personnages qu’ils incarnent. En changeant, ils échangent leur rôle. Séparés mais inséparables. Fabrice Pierre et Anne Cantineau mettent leur amour du théâtre au service du bergmanien théâtre de l’amour.

Les Caprices de Marianne, suite de la tournée à Tours, Le Nouvel Olympia jusqu'au 27 mars. Le Mans, l’Espal, du 1er au 3 avril.  Vire, Théâtre Le Préau, le 9 avril. Nice, centre dramatique, du 15 au 19 avril.

Tartuffe, jusqu'au 29 mars au Théâtre de la Commune, suite de la tournée au théâtre d’Auxerre le 8 et 9 avril, puis du 21 au 23 avril au Théâtre de Dijon-Bourgogne.

Il faut toujours terminer qu’est-ce qu’on a commencé, Théâtre de la Colline, jusqu’au 29 mars.

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