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Billet de blog 26 août 2023

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Axel Bogousslavsky s’en est allé

Acteur étrangement sans âge, aux mouvements du corps aussi légers qu’imprévisibles, pourvu d’une voix comme venue d’ailleurs, la présence d’Axel Bogousslavsky irradiait. Les spectrales de Claude Régy, de Daniel Jeanneteau et de quelques autres s’en souviennent à jamais.

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Illustration 1
Axel Bogousslavsky au Japon l'an dernier © Daniel Jeanneteau

Malade, à son retour du Japon où avait été créée la Cerisaie de Tchekhov dans une distribution japono-française et une mise en scène signée Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou, Axel Bogousslavsky n’avait pas pu reprendre à Gennevilliers le rôle de Firs, le vieux serviteur qui, à la fin de la pièce, s’enferme dans la maison attenante à la cerisaie en cours de destruction, pour mourir. Cela devait être son dernier rôle.

On vient d’apprendre la disparitions de cet acteur qui l’était devenu sans en avoir appris le métier dans des cours et des écoles, promenant, sur les plateaux de théâtre et plus rarement de cinéma, son corps sans âge, agile et fragile, fort et faible à la fois, une étrangeté douce et désarmante, un étonnement d’être qui préservait en lui sa part d’enfance

Un soir, sur France Culture, au micro de Laure Adler, il avait parlé avec tendresse de son père issu d’une famille venue d’Ukraine, graveur et faux monnayeur à la fois, de la famille qui, dans la Somme, l’avait accueilli enfant, de cette période où il dessinait des cranes tard le soir au muséum d’histoire naturelle, de ses jours de travail heureux aux usines Renault de Boulogne Billancourt, de sa complicité avec Jean Mascolo, le fils de Marguerite Duras, de sa rencontre avec cette dernière, ce ces soirées à Neauphle où il sentait « une vibration de l esprit ».

Duras fera d’Axel Bogousslvasky le héros de son dernier film Les enfants (1985). Entre temps, elle l’avait présenté à Claude Régy qui le mettra en scène une première fois dans Eden cinéma créé au Théâtre d’Orsay en 1977.

Axel et Régy ne devaient plus guère se quitter au fil des pièces de Botho Strauss, Peter Handke, Maeterlinck, Leslie Kaplan, Jon Fosse et bien d’autres. Bruno Bayen, Jean-Michel Rabeux, Etienne Pommeret, Xavier Marchand, Jean -Baptiste Sastre et, plus récemment, Lazare, solliciteront sa présence si intense, si légère, si particulière, cette l’un ange tombé du ciel pour effleurer le plancher des scènes, sans jamais s’y appesantir et parler le français comme une langue à demi étrangère. Après l’avoir côtoyé chez Claude Régy dont il signait les scénographies, Daniel Jeanneteau devait le retrouver régulièrement dans son parcours de metteur en scène depuis La sonate des spectres de Strindberg jusqu’à donc La Cerisaie. Jusqu’à Firs.

« Il devait le faire, me disait Daniel Jeanneteau (entretien paru dans le programme du Théâtre de Gennevilliers) . C’est aussi cela qui a contribué au choix de La Cerisaie. Axel dans Firs a été une clef pour entrer dans la pièce et nous éviter tout "Tchekhovisme" de convention. Nous n’avons pas du tout appuyé sur la nostalgie, le regret, l’évocation d’un monde idéal passé. Le Firs d’Axel n’est pas souffreteux,il ne tremblote pas, il n’a pas de canne contrairement à ce qui est mentionné dans la pièce. Axel ne voulait pas de canne, alors il a pris un bambou qu’il manipule comme on le fait dans les arts martiaux, si bien que cela donne un Firs plein de vitalité, ce qui ne l’empêche pas à la fin de s’éteindre, de disparaître sous nos yeux. »

Mammar Benranou complétait : « On a d’ailleurs augmenté ses présences, écrit des parcours et des apparitions qui ne sont pas dans la pièce pour faire de Firs la mémoire de la cerisaie et le moteur, en quelque sorte, de la représentation. Par exemple dans la scène du bal ».

Cette scène du bal justement, souvent minorée ou évacuée par les metteurs en scène de La Cerisaie.Axel l’ irradiait. Un ange est passé.

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