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L’ histoire de France de la seconde partie du XXe siècle se décline volontiers en bagnoles. Dans les embuscades de la Résistance, il y eut la 202 Peugeot et l’increvable Traction avant Citroën avec ses combattants armés allongés sur les galbes des ailes. Après guerre, ce fut le règne de la deudeuche, (la 2CV Citroen) et de la 4L (la 4CV Renault). Chez Peugeot, on déclina une gamme qui grimpa à coups de centaines depuis la 203. La 504, sortie des usines de Sochaux entre 1969 et 1996 fut l’un des fleurons (comme plus tard la 206, la plus vendue au monde des voitures Peugeot et encore avant la 202). Les robustes 504 d’occasion allaient constituer bientôt la « bête de somme de l’Afrique ». C’est cette « peuge »-là, son époque, ses ateliers de fabrication et ses mouvements sociaux, qui servent de fil rouge au spectacle « Indestructible » signé (écriture et mis en scène) Manon Worms et Hakim Bah.
La 504, c’est elle l’"Indestructible" du titre. Contrairement aux ouvriers qui l' assemblent, elle aura plusieurs vies. On est là dans les ateliers au cœur des luttes, toujours âpres dans ces forteresses ouvrières que sont les usines fabricants des automobiles, à Sochaux, Flins, Billancourt et ailleurs.
L’une des sources du spectacle est le livre, incontournable et magnifique dans sa précision et son humanité, L’établi de Robert Linhart, disponible en poche-Minuit. Le livre raconte comment son auteur, un intellectuel, se fait embaucher aux usines Citroën dans les années 70 où l’on fabrique les 2CV. "Etabli" donc, il y décrit les conditions de travail, l’arrogance des petits chefs, la main d’œuvre largement émigrée, la façon dont une grève s’organise, comment elle est démantelée et, pour finir, comment "l'établi"est licencié. « L'usine est conçue pour produire des objets et broyer des homme, écrit Linhart. Ce mardi matin [ à l’approche de la grève], dès la première heure, la machine anti-grève de Citroën s’est mise en marche. Hier, les chefs nous ont fait le coup du mépris. Aujourd’hui, changement de tactique : ils font de la présence. Et quelle présence !: L’usine entière résonne de leurs coups de gueule, de leur va-et-vient, de leurs interventions tatillonnes ».
Manon Worms et Hakim Bah s'éloignent du livre mais en gardent l’esprit. C’est Cathy, une étudiante et militante parisienne d’extrême gauche qui vient s’établir en travaillant aux usines Peugeot de Sochaux. Elle est amoureuse de Paquita qui milite elle aussi (mouvements féministes et homos). A l’usine, Cathy rencontre Bakary qui, lui, a dû fuir le Mali autoritaire de Modibo Keïta et s’est fait embaucher comme manœuvre.
Tout se passe dans l’usine Peugeot qui fabriquait à l’époque des 504, Manon Worms et Hakim Bah ne choisissent pas de mettre en scène au premier plan l’affrontement avec les chefs et la direction mais plutôt à cerner l’harassant travail posté, les luttes pour humaniser les conditions de travail via la solidarité ouvrière, les alcôves d’affection, d’amitié voire l’amour entre ouvrières et ouvriers. Dans un final onirique, la gréve ayant échoué, Cathy et Bakary s’enfuient en voiture.
Tout se joue dans un espace unique fait de ferrailles, de pneus, de poulies (Clara Hubert et Ninon Le Chevalier signent la scénographie et les costumes) complété par l’excellent travail vidéo de Jean Doroszczuk. En scène, cinq actrices et acteurs : Emilien Audibert, Katell Jan, Adil Laboudi, Julie Moulier, Assane Timbo et Olivier Werner. Bel espace métaphorique, jeu fluide.Ce qui manque, c’est une introspection plus intense des personnages, une narration affirmant plus finement les rapports de force.
« Indestructible » a été créée à Lyon aux Théâtre des Célestins du 8 au 18 janv, il est à l’affiche du Théâtre de la Cité Internationale du 27 janv au 8 fév, lun et mar 20, jeun et en 19h, sam 18h