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Jean Luc Lagarce commence la rédaction de son journal le 9 mars 1977, il vient d’avoir vingt ans. C’est le mois où, avec quelques ami.e.s apprenti.e. s actrices et acteurs comme lui, il crée sa compagnie, le Théâtre de la roulotte. Il a déjà écrit des pièces, la compagnie répète deux d’entre elles, Erreur de construction et La bonne de chez Ducastel. la première sera reprise dans le premier volume de son Théâtre complet aux Éditions Les solitaires intempestifs, maison d’édition que Lagarce avait créée en compagnie de François Berreur. En ce mois de mars 1977, il commence à écrire aussi un roman Ma-Strat, l’histoire de Sarah et Xol, dont il reste peu de choses.
Plus de mille pages et vingt trois cahiers plus loin le journal s’interrompt le 27 septembre 1995.
L’adaptation de Vincent Dedienne privilégie deux axes : d’un côté la famille (sa mère, son père, son frère, sa sœur), de l’autre, l’homosexualité, la maladie ( Sida). L’écriture, la vie théâtrale restent en retrait. Ainsi ces mots écrits le 27 septembre 1995 et repris par Dedienne : « Et la maladie, c’est cela aussi, il ne faudrait pas imaginer que c'est seulement un état mélancolique, la maladie, c’est aussi depuis plusieurs jours maintenant, se réveiller en s’étant chié dessous, en ayant le slip plein de merde, sans même avoir été réveillé » Lagarce mourra du Sida, trois jours plus tard le 30 septembre..
Des années plus tôt, s‘adressant, comme souvent, au lecteur, sachant que ce dernier lira ce Journal après sa mort, et alors qu’il vient d’apprendre qu’il a le Sida, Lagarce écrit « mais vous le savez déjà ». En écoutant ces mots, eux aussi repris par Dedienne, les spectateurs sourient, voire rient. Oui, ils savent déjà. Dedienne glisse délicieusement sur cette connivence. Et énumère au fil des jours les morts notés dans son Journal : Sartre, Signoret, Coluche, Foucault, Copi, Guibert, Demy, Mapplethorpe et bien d’autres. Sur le côté droit de la scène, Irène Vignaut, avec un stylet numérique et de l’animation graphique, dessine ces visages défunts projetés sur la scène où Dedienne est seul et parle en nous regardant. C’est simple, amical, complice, percutant.
L’acteur ne s’attarde pas sur telle ou telle relation suivie voire amoureuse de Lagarce. Dedienne privilégie les moments de drague souvent teintés d’humour. Et puis, entrelacée, il y a la famille (sa mère, son père, son frère, sa sœur) restée à Valentigney ou alentour alors que Lagarce a très vite quitté Besançon pour Paris et y vivre plus librement son homosexualité. Il revient parfois. Ainsi ce 20 avril 1992 : « Dimanche de Pâques en famille. Effrayant. Les larmes aux yeux. Et eux qui ne veulent jamais rien voir. Et un jour, il faudra leur dire que je suis en train de mourir. Me collecter à ce malheur -là. »
Il ira les voir pour dire mais ne dira rien. C’est là le sujet de sa pièce Juste fin du monde que met aussi en scène Johanny Bert. Vincent Dedienne tient, bien sûr, le rôle de Louis, le fils qui est parti et qui revient. Il retrouve sa mère (Christiane Millet), son frère cadet Antoine (Loïc Riewer) et Catherine la femme de ce dernier (Astrid Bayiha), sa sœur cadette Suzanne (Céleste Brunnquell). Le père est mort, Lagarce avait écrit une première version avec le père. Johanny Bert le fait revenir comme un fantôme. Il introduit aussi , hélas, d’inutiles marionnettes, le tout dans un effroyable décor suspendu d’un intérieur de ces années là dont des éléments descendent parfois.
Louis ne dira pas qu’il est malade et va bientôt mourir. Quand on lui demande comment il va il répond « je vais bien ». Dans un prologue, seul en scène, Louis s’adresse aux spectateurs : « Plus tard, l’année d’après -j’allais mourir à mon tour- j’ai près de trente-quatre ans maintenant et d’est à cette âge que je mourrai... ». Puis la pièce commence avec son arrivée, il revient après une longue absence. Mais il parle peu. Il est un peu comme un putching ball où les autres se cognent avec des mots. Il ne se passe rien ou presque. Du passé remontent des rancœurs (le frère) , des souvenirs heureux (la mère), un désir de proximité (la sœur) et la belle fille (Catherine) qui ne sait trop sur quel pied danser.
C’est une pièce plein de faux rythmes , de non dits et de silence. Malheureusement, le metteur en scène zigouille les interstices, monte la pièce quasiment au pas de course comme on le ferait pour une pièce de boulevard. Tout se ratatine. Ajoutons à cela que le fort en marionnettes qu’est Johanny Bert, croit bon d ‘en user sur le plateau. Ce qui achève la déconfiture. Quelle tristesse que de voir cette si belle pièce ainsi défigurée..
Théâtre de l’Atelier.
Juste la fin du monde du mer au ven 21h, sam 15h, dim 16h. Puis tournée :Le Sémaphore, Cébazat du 25 au 27 mars ;La Halle aux Grains, Blois le 29 mars ; Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon du 1er au 5 avril ; Théâtre Saint-Louis de Pau les 8 et 9 avrilThéâtre Odyssée, Périgueux le 11 avril
Il ne m’est jamais rien arrivé, du jeu au sam 19h. Puis tournée : du 25 au 27 mars au Sélaphie de Cébazat, le 29 mars à la halle au grains de Blois. Le texte de l'adaptation de Vincent Dedienne est paru aux Éditions Les solitaires intempestifs.