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Billet de blog 27 mars 2015

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« Marie Stuart » d'après Schiller par Ivo van Hove : une leçon de théâtre

Une fois encore Ivo van Hove, le grand maître de la formidable troupe du Toneelhroep d’Amsterdam revient au festival Exit à la Maison des arts de Créteil. Une fois encore il nous éblouit et nous étonne avec sa mise en scène de « Mary Stuart »  une adaptation de la pièce de Schiller.

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Scène de "Marie Stuart" © Jan Versweyveld

Une fois encore Ivo van Hove, le grand maître de la formidable troupe du Toneelhroep d’Amsterdam revient au festival Exit à la Maison des arts de Créteil. Une fois encore il nous éblouit et nous étonne avec sa mise en scène de « Mary Stuart »  une adaptation de la pièce de Schiller. Une leçon de théâtre à travers une méditation sur la lutte pour le pouvoir, son exercice pour les vainqueur (et ce qui va avec : responsabilité, légitimité, solitude), la haine et la peur de nuisance des vaincus et les affres de ces derniers.

Le président Hollande qui ne va jamais au théâtre devrait inviter la chancelière Merkel à ce spectacle d’une grande pièce allemande dite en néerlandais et présentée avec des sous-titres français. Ils auraient beaucoup de choses à se dire et à méditer à la sortie après avoir salué la troupe du Toneelhroep renforcée par des acteurs du Toneelhuis d’Anvers, une distribution parfaite emmenée par les deux actrices, compagnes de route du metteur en scène, Chris Nietvelt (Elizabeth Ier) et Halina Reijn (Mary Stuart).lls pourraient félicité, chaleureusement comme il se doit, Ivo Van Hove, un grand monsieur.

La lutte à mort entre deux femmes de pouvoir

Schiller part d’un fond historique mais, comme Shakespeare, le réécrit. Il mêle personnages historiques et personnages fictifs pour articuler sa pièce autour de trois temps forts. Les deux rencontres explosives, dramatiques, entre deux femmes, deux cousines celle qui est reine, Elizabeth Ier, et celle qui aurait pu et aurait voulu l’être, Marie Stuart. Deux femmes qui dans « la vraie vie » ne se sont jamais rencontrées. Le troisième temps les renvoie chacune au fond de leur solitude.

Marie Stuart (qui a beaucoup pêché et qui confesse ses crimes in extrémis pour ne pas se mettre le ciel à dos) se grandit en allant majestueusement vers la mort vêtue de ses plus beaux atours -extraordinaire scène où sa servante tient le rôle du prêtre, la reine anglicane ayant refusé qu’un émissaire de l’église romaine assiste sa cousine catholique- avant d’embrasser de ses bras le billot qui va lui couper la tête ( la scène atroce de l’exécution à la hache est racontée en voix off) .

La reine qui a fini par signer l’ordre de l’exécution sans toutefois dire à qui il fallait le transmettre, condamne sa propre faiblesse en condamnant (mort, bannissement) ceux qui ont exécuté l’ordre. Elle reste seule engoncée dans ses habits de reine. On a rarement mieux traduit et disséqué la responsabilité et les tourments d’un souverain, monarque ou président, qui en apposant sa signature au bas d’un document, condamne la vie d’un être humaine, fut-il son pire ennemi.

Tours et atours de la parole

Ivo van Hove n’est pas un metteur en scène qui décline une esthétique reconnaissable au fil des mises en scène. A chaque pièce (Tchekhov, Ibsen, Molière) ou adaptation de films (Cassavetes, Bergman) il relance les dés. Depuis « India Song » de Duras  en 2002, c’est la neuvième fois qu’il vient à Créteil (le plus souvent dans le cadre du festival Exit) et pas un spectacle n’a  ressemblé à un autre. A chaque projet sa dramaturgie, sa scénographie, son style.

Illustration 2
Scène de "Marie Stuart" © Jan Versweyveld

Pour « Marie Stuart » il a opté pour l’épure tragique, une noire sobriété, un texte nettoyé à l’os. Pas de décors hormis deux bancs d’école et, au moment de la confession de Mary Stuart, une bougie allumée. Une antichambre spartiate de la mort. Des costumes sombres passe-partout pour les hommes, des robes simples et noires pour les femmes mais des hauts talons sonores pour la reine en titre et la reine privée de couronne. Hormis tardivement les deux robes, pas d’atours autres que ceux rusés, calculateurs, plus souvent fourbes que sincères, parfois désarmants d’aveux, les atours de la parole. Persuader, argumenter, supplier, pardonner, se venger, faire preuve d’autorité, de maitrise, de lâcheté, de faiblesse, se lâcher, se contrôler, sauver sa peau. C’est un laboratoire d’humains en actes que ce spectacle soufflant.

Tout est inéluctable, mais les mots retardent l’échéance le temps d’une pièce dont le tempo est égrené par une partition musicale délicate et discrète et des subtiles lumières. Tout est fait pour montrer mettre e valeur les sentiments complexes qui unissent et opposent ces deux femmes de pouvoir, attirance et répulsion extrême cohabitant dans de terribles étreintes et des mots lancés comme des crachats dans cette rageuse langue néerlandaise que parlent les interprètes d’Ivo van Hove. Et quand les mots n’en peuvent plus, les corps prennent le relais. Magistral.

On sort de là un peu hagards, pas très en état pour apprécier la grand exposition qui accompagne toujours le festival Exit. Cette fois sous le titre « Home cinéma » (commissaire Charles Carcopino) ; une sorte de fête foraine  dont les manèges, les tirs, les auto-tamponneuses, et les trains fantômes se déclinent en caméra autogérées, en pictogrammes, en robots, en pirates, en « Space odyssey »  et autre « Video painting », en voiture à faux travelling ou en  « Fractal film ».

« Mary Stuart » Maison des arts de Créteil jusqu’au 28 mars à 20h , 01 45 13 19 19

Festival exit, Maisons des arts de Créteil jusqu’au 5 avril,  programme sur le site

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