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Billet de blog 27 novembre 2025

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Vie et blessures d’une infirmière suédoise dans un camp palestinien

A travers « Silence, ça tourne », l’actrice libanaise Chrystèle Khodr sort de l’oubli l’histoire d’Eva Stăhl, une infirmière suédoise à la vie brisée dans un camp palestinien en 1976

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Illustration 1
Scène de "Silence ça tourne" © Jean-Louis Fernandez

La Libanaise Chrystèle Khodr n’était pas née lorsque, durant l’été 1976, plusieurs milliers de miliciens chrétiens maronites ont assiégé le camp de Tel Al-Zaatr (la colline du thym) où vivaient quelque 30 000 réfugiés palestiniens depuis 1948. Un siège soutenu par la Syrie de Hafez al Assad, l’armée libanaise et des conseillers israéliens raconte-t-elle aujourd’hui après s’être longuement documentée pour ce nouveau spectacle titré Silence, ça tourne, expression cinématographique qui prend un autre sens au sortir du spectacle : le silence, lui aussi tourne, il précède la parole.

C’est en 2017, alors qu’elle effectue des recherches pour un nouveau spectacle, que Chrystèle Khodr tombe sur une courte vidéo du 2 août 1976 puisée dans les archives de l’agence Associated press ayant pour titre L’infirmière suédoise de Tel Al Zaatar. On voit une jeune femme blessée sur un lit d’hôpital. A un journaliste, elle raconte que son mari a été tué pendant le siège du camp et qu’elle a perdu l’enfant qu’elle portait alors.

Cinq ans plus tard, Chrystèle Khodr est à Stockholm pour une résidence de création. Elle essaie de creuser plus avant cette histoire d’infirmière suédoise nommée Eva Stăhl qui l’a marquée, tombe sur un autre entretien plus récent dans la presse suédoise et finit par la retrouver quelque part en Suède. Tout le matériau qui précède et tout ce que lui raconte l’ancienne infirmière vont nourrir le spectacle.

Alors, à l’écoute de Chrystèle Khodr on entre dans la vie d’Eva qui, dans les années soixante, adhère au parti communiste révolutionnaire suédois et, devenue infirmière, se porte volontaire pour aller travailler bénévolement dans le camp palestinien de Tel el Zaatar sous l’impulsion d’un médecin suédois. Dans le camp, elle rencontre son futur mari (palestinien), l’épouse en 1975 et tombe bientôt enceinte. La pression des phalangistes s’intensifie sur le camp. Tirs, bombes. L’une d’elle lui arrache un bras et tue son mari. Quelques mois plus tard, une autre bombe tombe là où elle vit dans le camp, elle perd son enfant. Un journaliste suédois raconte son histoire ce que fait également un médecin du camp qui tient un journal. C’est à partir de ces témoignages et de la rencontre en Suède avec Eva que Chrystèle Khodr (écriture et jeu) et Nadim Deaibes (mise en scène) racontent cette histoire vieille d’un presque un demi siècle « au rythme de crimes de guerre actuels perpétués contre le même peuple palestinien ».

Seule en scène, le plus souvent debout, l’actrice parle ou enclenche un minicassette d’où sortent les voix enregistrées des témoignages tandis qu’elle tisse autour d’elle les fils d’un abri précaire. L’histoire achevée, elle disparaît dans l’ombre. Les applaudissements, timides d’abord, puis plus affirmés se font entendre. Elle revient, nous regarde.

Dans la feuille de salle distribuée aux spectateurs, ces mots se détachent : « Nous concevons le spectacle comme une réflexion autour de ce qui a eu lieu, comment l’Histoire est transmise, comment elle se répète ». De Tel el Zaatar à Gaza.

MC93 jusqu’au 30 nov. Le spectacle venu au TNP, au Festival Sens Interdits et à Montpellier, reviendra à la MC93 début février, au Théâtre de la Bastille du 10 au 18 mars et à Marseille au théâtre de la Joliette le 20 mars

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