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Non loin de Blois, au milieu des bois, la clinique de La Borde fondée par Jean Oury en 1953 a fortement marqué le mouvement de réforme de la psychiatrie à travers le GTPSI (Groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles) créé en juin 1960. Avec Oury, Félix Guattari fut une des figures marquantes de la Borde, tous deux sont aujourd’hui disparus mais l’aventure continue.
La clinique de La Borde accueille plus de cent patients en hospitalisation libre. Ils peuvent circuler partout, ont des responsabilités concernant la gestion des ateliers au sein d’un club thérapeutique. A la Borde et dans d’autres lieux similaires, le patient n’est pas un malade mais un sujet qui participe au projet de soins et à la vie de l’établissement.
Régulièrement des artistes, des écrivains, des philosophes et autres viennent à La Borne et parlent devant une assemblée où patients et personnel médical sont mêlés. Et quand les questions fusen, bien malin celui qui pourrait distinguer les uns des autres. Chaque été, en août à La Borde, le club propose la réalisation d’un spectacle comme on peut le voir dans le formidable film de Nicolas Philibert La moindre des choses sorti en 1997. Et comment ne par se souvenir que Joséphine Guattari et François Pain ont réalisé un film extraordinaire Min Tanaka à La Borde où l’on voit le danseur japonais (venus souvent à La Borde et au Festival d’Automne) danser nu dans le parc.
La metteure en scène Alice Vannier et sa dramaturge Marie Menechi, nées dans les années 85-95, disent avoir eu envie d’explorer ce qui était effervescent dans les décennies précédentes et en particulier dans les années 60, et précisément tout ce qui tournait autour du GTPSI. Leurs recherches les ont menées à La Borde où, elle sont restées une quinzaine de jours. Elles ont pu assister à la préparation du spectacle de théâtre annuel, cet été-là Comme il vous plaira de Shakespeare aux forêts enchanteresses Elles en sont revenues riches d’images, d’impressions, de rencontres, d’espaces. Ajoutez à cela bon nombre de documents et de livres, la littérature en la matière étant conséquente. Il leur restait à déplier tout cela.
C’est sur la base d’un projet sans texte préalable qu ‘Alice Vannier et Marie Menevchi ont réuni une équipe d’actrices et d’acteurs de leur génération : Anne Bouguereau, Margaux Grilleau, Adrien Guiraud, Simon Terrenoire (en remplaçant d’Hector Manuel), Sacha Ribeiro et Judith Zims. Elles les ont nourris de vidéos, de documents, des récits de leur vécu à La Borde. Après quoi, elles leur ont proposés des trams de jeu, et d’autres encore, etc. Tout en étant à l’écoute des propositions des uns et des autres. Un travail de germination commune autour d’une succession de trames et de leur agencement. Avec un fil conducteur les répétitions de la pièce de Shakespeare Comme il vous plaira, en particulier les scènes qui se passent dans la forêt ou un sous-bois où poussent les brandes (bruyère, genêt, etc), lesquelles vont peu à peu, vont venir hanter le décor et ses niches, « Le monde entier est un théâtre/ Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs./Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles », la citation , célèbre, est extraite de Comme il vous plaira . La Borde en intensifie le sens.
Pas d’intrigue dominante, pas de personnage principal (chacun, chacune l’est à un moment ou à un autre), actrices et acteurs endossent plusieurs rôles, comme à La Borde, patients et personnel médical se côtoient et se mêlent ce qui rend d’autant plus intense la vue d’un corps en souffrance. Réunion thérapeutique, répétition du spectacle, recherche d’accessoire, construction du décor, pétage de plomb, tout se tient et trouve son tempo dans la tension sous-jacente à chaque scène. La vie et le jeu n’en finissent pas de renvoyer l’un dans les cordes de l’autre. « Quelle pitié que les fous ne puissent parler avec sagesse des folies que font les sages! » note encore Shakespeare dans Comme il vous plaira. Les jeux de renversements propre à la pièce venant faire écho à ceux mis en œuvre dans le spectacle. C’est diablement joué et souvent magnifiquement vertigineux.
Créé à Lyon au Théâtre du point du jour, le spectacle La brande est à l’affiche du Théâtre de la Cité Internationale à Paris , lun et mar 20h, jeu et vend 19h, sam 18h , relâche mer et dim. Jusqu’au 5 fév.