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C’est la treizième fois que Christophe Marthaler est programmé au Festival d’automne depuis le fameux Murx den Europäer! Murx ihn! Murx ihn! Murx ihn! Murx ihn ab! Ein patriotischer Abend en 1995. Mais, cette année, avec Die-sorglosschlafenden-die-frischaufgebluhten, c’est la première fois qu’un de ses spectacles est accueilli au Théâtre de l’Aquarium dirigé par la compagnie la vie Brève.
La compagnie française et le metteur en scène suisse- allemand ont beaucoup de choses à partager : entre théâtre et musique leur cœur ne balance pas, l’un et l’autre les font battre ensemble à l’unisson. Jeanne Candel, l’un des piliers de la compagnie, barmaid d’un soir de première, ne cachait pas sa joie d’avoir œuvré pour accueillir chez elle ce metteur en scène aîné et admiré.
Qu’est ce qu’on aime dans les spectacles de Marthaler ? Qu’est ce qui nous donne toujours envie d’y revenir depuis le fameux Murx. .. ? Des tas de petites choses, des virgules (jamais des points sinon des pointillés), des tas de petits gestes aussi vains qu’obstinés, des tas de petites musiques au vaste répertoire (présentement Bach, Beethoven, Rachmaninov, Webern, Schumann, Schubert), des histoires qui, à peine nées, se ratatinent, des costumes passés de mode depuis un demi-siècle rescapés de je ne sais quelle mercerie ou third hand ou vieille frippe zurichoise, des personnages au but limité, aux rêves avortées, abonnés au ratage domestique ou professionnel, à la résistance obstinée des éléments y compris les instruments de musique, autant de solitudes abonnées au friable, au cassable.
Et puis les actrices, les acteurs formidablement imbibés d’atmosphères en loucedé, suintant formidablement de jus marthalerien, les habitués de ses spectacles comme les invités occasionnels. Depuis toujours, la salle d’attente sous toutes ses formes est un des lieux privilégiés des spectacles de Marthaler. On attend on ne sait quoi, on espère vaguement et le temps d’un spectacle passe
A chaque fois -et on ne s’en lasse pas- c’est la chronique aigre-douce d’un monde fatigué qui se délite, qui espère malgré tout, qui vit de petits malheurs mais croit, allons-y allonso, à un avenir pas pire sinon un chouia vivable.
Cela se passe toujours entre deux portes ( souvent closes), dans un lieu qui se débine par petits morceaux, un monde de planches pourris, de Ripolin hors d’âge. Des bancals, des bras cassés, des rescapés, des démodés de naissance. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre dans le rétroviseur de leur vie, la solitude est pour chacun, chacune, un lot de consolation. Tous, abonnés du mal vivre, ont une bouée de secours et même deux cette fois dans ce nouveau spectacle : la musique, bien sûr, mais aussi la poésie. Le spectateur n’a lui qu’une seul stratégie possible : le rire éruptif assorti d’une tendresse infinie. C’est parti.
Ils sont quatre assis sur des chaises. Ils se lèveront de concert, entraînant leur chaise pour aller s’asseoir ailleurs ou à la même place . Marthaler ou l’épuisement du même. Dans un coin au milieu fatras d’instruments à cordes plus ou moins cassés se tient un joueur de violoncelle tel un gardien du temple. De chaque côté contre un mur gris, un piano droit où un pianiste joue et, sans se presser, va et vient de chaque côté de la scène. Les quatre ont pour bagage une boite, un étui censé abriter un cor, quand ils ouvriront l'étui ils y pencheront leur tête comme on se penche sur un puits pour y chercher la vérité, en sortiront les mots du poète. Plus tard surgira une trompette plus ou moins bouchée. Parfois ils se lèvent, reviennent.Ce qui les réunit, comme une patience ou une manille réunit des retraités pour passer le temps, c’est un tricot poétique, celui de Friedrich Hölderlin, une sorte de bouquet picoré dans son œuvre poétique, ici une lettre, là un fragment, souvent Hypérion. Ceci, par exemple (traduction Philippe Jaccottet) :
« N’étais-je pas, quant à moi, pareil à des cordes brisées ? Je résonnais encore un peu, mais d’une musique de mort. J’avais chanté sombrement le chant du cygne. J’aurais bien voulu aussi me tresser une couronne funèbre, mais je n’avais que des fleurs d’hiver.Et maintenant où étaient le silence funèbre, la nuit, le désert de ma vie ? Et son affreuse précarité ? »
Jusqu’au 2 octobre au Théâtre de l’Aquarium, 29h30 du lun qu jeu, sam 15h et 20h30, dim 14h, relâche ven