jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

1364 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 septembre 2024

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Le « Banquet Capital » de la bande à Creuzevault remet le couvert

Avec « Banquet Capital », Syvlain Creuzevault et sa bande offrent une réjouissante fête du sens autour de la scène centrale de l’inoubliable « Le Capital et son singe ». Ce spectacle, à la carrière malmenée par le Covid, revient. Réjouissons-nous !

jean-pierre thibaudat (avatar)

jean-pierre thibaudat

journaliste, écrivain, conseiller artistique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Scène de "Banquet Capital" © Jean-Louis Fernandez

En 2014 (dix ans déjà) Sylvain Creuzevault et sa compagnie Le singe créaient Le Capital et son singe au Théâtre de la Colline ; nous y étions le soir de la première (lire ici). Le spectacle allait faire une belle tournée pour revenir se conclure là où avait commencé l’aventure publique, affûté, musclé, ayant atteint la souplesse escomptée, picotée d’inventivités improvisées au soir le soir. D’autres spectacles de la compagnie sont advenus depuis.

Quelques années après, durant l'été, sans publicité aucune, sauf autour d’Eymoutiers où Creuzevault et sa bande avaient trouvé refuge, un festival sauvage s’est tenu pendant trois ou quatre jours. Regroupant des artistes amis et maison, des manifestations de toutes sortes dont, parmi elles, Banquet Capital. reprise d'une partie  du spectacle Le Capital et son singe. Signe d’une envie de retrouvailles et de partage. Cela aurait pu en rester là. Mais le plaisir des spectateurs à découvrir (pour la plupart) et celui des acteurs à se retrouver étaient tels qu’il fut décidé de prolonger les agapes. Au Printemps des comédiens (où nous l'avons vu)  puis à la MC93, une tournée vite écoutée pour cause de Covid. Le  Banquet Capital revient aujourd'hui. Les enfants, à table!.

Dans  le journal de la MC93, interrogé aujourd'hui par Jean-François Perrier, Sylvain Creuzevault s'explique: "En 2016 pendant les luttes contre la Loi Travail, je me suis retrouvé, en fin de manifestation, dans un square où des manifestants discutaient entre eux de ce qu’ils venaient de vivre et des suites possibles à donner au mouvement, avec des analyses parfois divergentes. Ça m’a éclaté puisqu’ils reproduisaient en vrai ce que nous avions imaginé dans la première partie du Capital et son singe, une réunion dans un Club politique où les militant·e·s cherchent comment approfondir le rapport de force avec le pouvoir en place, comment transformer l’insurrection en révolution, comment résister à la répression qui s’abattra inévitablement sur eux. J’ai donc eu envie de reprendre cette première partie, en allégeant sa forme, avec moins de costumes mais autant d’actrices et d’acteurs, toujours des tables et des chaises, des effets lumière plus simples : en faire un banquet comme il s’en crée des centaines en 1848 dans les Clubs et qui sont les seuls endroits où peuvent encore se réunir les ouvriers et les intellectuels depuis que la loi Le Chapelier de 1791 leur interdit de fonder des syndicats professionnels. Ces Clubs ont été formidablement mis en lumière par Jacques Rancière dans son ouvrage "La nuit des prolétaires.""

Le spectacle est donc de retour à la MC93 et ailleurs avec une excellente distribution, lamême ,  à deux exceptions près :  Vincent Arot, Benoit Carré, Antoine Cegarra, Noémie Develay-Ressiguier, Pierre Devérines, Vladislav Galard, Arthur Igual, Julie Lesgages, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa.

Voici ce qu’on en disait au sortir d'une représentation au Printemps des comédiens:

Le public du Banquet Capital comme celui du Capital et son singe se tient de part et d’autre d’une grande table. Nous sommes le 13 mai 1848, dans le Club des amis du peuple fondé par Vincent-François Raspail après la Révolution de Février qui a renversé la monarchie. Il y a là Auguste Blanqui, Armand Barbès, l’ouvrier Albert et quelques autres hommes qui resteront dans l’Histoire, les femmes se font rares et, de plus, elles n’ont pas voté le 23 avril n’en ayant pas encore le droit (en France, il leur faudra attendre presque un siècle). L’Assemblée constituante a proclamée la seconde République. Mais le danger est grand de voir la Révolution confisquée.

Tous reviennent d’une grande manifestation, les esprits s’échauffent, les stratégies s’affrontent. Il est beaucoup question d’une taxe de 45 centimes qui a mis le feu aux poudres. Aucune reconstitution historique, cela va sans dire de la part de cette équipe, mais plutôt une reconstruction libre. C’est la méthode Creuzevault : on lit Le Capital de Marx (l’illustre arrive dans le spectacle en retard avec son visage très reconnaissable et le teint rouge comme s’il sortait d’un banquet bien arrosé ou d’une manif qui a mal tourné), on lit et relit les mémoires et les écrits des héros de cette Révolution politique et sociale, on lit tout aussi bien des tas d’écrits d’aujourd’hui, de Foucault au Comité invisible en passant par Rancière. Et, lesté de tout cela, on part dans de longues séances d’improvisation organisées par Sylvain Creuzevault. C’est comme cela que sont nés ces moments festifs d’économie politique du spectacle où le théâtre et ses facéties deviennent le bras séculier de l’analyse. On fixe sans tout fixer. On pose des balises, des repères, des rendez-vous. On préserve l’aléatoire, le surgissement du présent.

La dernière partie de Banquet Capital nous entraîne dans un comic revival du Procès de Bourges au printemps 1849, où sont jugés les « meneurs ». Une évocation déconnante (avec Lacan et Freud en guest stars) et désopilante mais cependant en osmose avec l’attitude formidable des accusés. Lors de ce procès, Blanqui et les autres allaient être lourdement condamnés par une Haute cour constituée pour l’occasion..

Assigné à résidence sur Belle-Ile après sa condamnation, Blanqui envoie un texte à Londres en réponse à une demande de toast pour le banquet du 25 février 1851, jour anniversaire de la révolution de 1848 :

« Quel écueil menace la révolution de demain ? L’écueil où s’est brisée celle d’hier : la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns. Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont de l’Eure, Flocon, Albert, Arago, Marrast ! Liste funèbre ! Noms sinistres, écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l’Europe démocratique.

C’est le gouvernement provisoire qui a tué la Révolution. C’est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes. La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui l’ont livré à la réaction.

Misérable gouvernement ! Malgré les cris et les prières, il lance l’impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes désespérées, il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !

Il court sus aux ouvriers de Paris ; le 15 avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison ! A lui seul, le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la Révolution.

Oh ! Ce sont là de grands coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par des phrases de tribun voyait son épée et son bouclier ; ceux qu’il proclamait avec enthousiasme arbitres de son avenir.

Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait monter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c’en serait fait de la Révolution.

Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits ! Et si un seul apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l’insurrection, qu’ils crient tous, d’une voix : trahison ! Discours, sermons, programmes ne seraient encore que piperies et mensonges ; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; ils formeraient le premier anneau d’une chaîne nouvelle de réaction plus furieuse ! »

Ce toast enlevé de Banqui ne figure pas dans Banquet capital. Il en est comme un bonus. Les mots répétés de « trahison » et de « liste funèbre » sont, eux aussi, d’actualité.

MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, jusqu'au 06 octobre à 19h30, sf dim à 15h30 sf lun et mar; Scène nationale de L’Essonne – Evry le jeudi 10 oct à 19h30 et le vend 11 à 20h; Malakoff Scène Nationale, Théâtre 71du  mardi 15 au vend 18 oct à 20h;Théâtre 14 - Paris (dates à venir)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.