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Billet de blog 29 mai 2015

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L’équipe de La Maille tricote une pièce du jeune allemand Nis-Momme Stockmann

Il vous reste deux jours (ce soir et demain) pour aller découvrir la création en langue française d’une pièce d’un jeune auteur allemand Nis-Momme Stockmann adulé outre-Rhin, dans un petit théâtre qui ne ressemble qu’à lui-même : La Maille, 43 rue du Coq français aux Lilas.

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Il vous reste deux jours (ce soir et demain) pour aller découvrir la création en langue française d’une pièce d’un jeune auteur allemand Nis-Momme Stockmann adulé outre Rhin, dans un petit théâtre qui ne ressemble qu’à lui-même : La Maille, 43 rue du coq français aux Lilas. Faute de moyens, ce beau spectacle qui fait salle pleine, ne peut rester que huit soirs à l'affiche.

Illustration 1
© Fabio Alba

Un jeune auteur remarqué outre-Rhin

Comme la  justement célèbre maternité de la même rue, la Maille est un lieu qui vit des heures délicates. Il serait proprement incroyable que la mairie des Lilas et la région Ile de France ne s’entendent pas pour offrir des moyens décents à ce lieu merveilleusement atypique qui, avec bonheur, mène frontalement un travail de création, d’atelier et d’enseignement depuis plus de dix ans, animé par une petite équipe conduite par Marie Fortuit et Armel Veilhan. Il y a deux ans, Marie Fortuit y avait magnifique mis en scène Nothing hurts de Falk Richter. La meilleure part d’un théâtre étant  la création,  La Maille a fait front : Armel Veilhan met en scène Si bleue, si bleue la mer de Stockmann où joue Marie Fortuit.

Bien que L’Arche soit « l’agent littéraire du texte représenté », la maison d’édition n’a pas encore édité de pièces de Nis-Momme Stockmann (né en 1981). Trois sont pourtant traduites par Nils Haarmann et Olivier Martinaud, ce dernier ayant récemment mis en scène Les Inquiets et les Brutes. Etonnant parcourt que celui de cet auteur qui a commencé par s’intéresser au Tibet puis a failli devenir cuisinier avant d’opter pour une autre cuisine, celle de l’écriture scénique, dans une école berlinoise. Il a fini par livrer une première pièce dont le titre condensait son parcours : L’homme qui mangea le monde (non traduite). La revue Theater Heute (sans équivalent en France) lui décernera le prix de meilleur auteur de l’année en 2010, année où il écrit Si bleue, si bleue, la mer

Tout se passe au pied d’une cité allemande et tout tourne autour d’un jeune homme, Darko, précocement détruit par l’alcool : un pied bousillé, des yeux en vadrouille, une canette en main avant la canne. Mais vivra-t-il très vieux ? Rien n’est moins sûr, les suicides sont légion dans la cité. A ses côtés, son pote plutôt mutique, Elia, dont le metteur en scène fait astucieusement un musicien (Guillaume Mika), accompagne les battements de cœur et les foucades de son pote. Apparaîtront la mère de Darko, fantomatique, et une petite fille, Ulrike, hors champ. Enfin il y a Mok, celle qui passe pour la prostituée de la cité (Marie Fortuit). Tout cela pourrait conduire à un tableau social crade tartiné de pathos. Rien de tel. Car Stockmann est un poète.

Le poète et le tchatcheur

Toute la pièce est racontée, vécue et souvent vue à travers les yeux et les mots de Darko qui ne voit pas tout en noir et, dans la clôture oppressante comme une prison de la cité, veut parler aux étoiles. Mok, ne vous moquez pas, est aussi une jeune fille très belle qui ne rêve que de s’échapper de la cité pour aller en Norvège là où la mer est vraiment bleue. Ils étaient faits pour se rencontrer et s’aimer, ils s’aiment et finissent par le dire comme on dit passe-moi le sel, pudeur. Romantique alors ? Oui, comme toutes les romances. Mais c’est aussi une fausse piste.

Car tout tient avant tout dans la langue syncopée et décomposée que Stockmann met dans la bouche de son héros qui donne son tempo toujours vif et cassant à la représentation dépouillée de tout décor hormis des micros sur pied et des instruments de musique. Il fallait pour cela un acteur à la hauteur et le metteur en scène l’a trouvé en la personne de Romain Dutheil, sorti il y a trois de d’école de Cannes. Une pointure en herbe. On entre littéralement dans la tête de Darko, on est le confident de ses errements, de ses tourments, de sa fragilité propre à un type laissé en jachère par une vie sans horizon, sans repères et qui porte en lui une lourde culpabilité qui n’est peut-être qu’une affabulation. Car faute de vivre une vie rêvée, Darko est un type qui s’accroche à ses rêves (partir, c’est vivre un peu) d’autant qu’il a le don de la parole. Stockmann est un poète et son personnage un  tchatcheur. Le théâtre en sort gagnant-gagnant.  

La Maille (Les Lilas), 20h30, jusqu’au 30 mai, 01 75 34 88 79.

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