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En quatre saisons, deux enterrements et un lieu unique (un restaurant provincial en basse saison), Catherine et Christian, fin de partie (prénoms des défunts) par le collectif In Vitro interroge le passage (et l’héritage) entre deux générations : celle de parents, enfants du baby-boom, qui, morts, n’ont plus la parole, et celle de leurs enfants qui ont l’âge des acteurs du spectacle, la bonne trentaine voire la quarantaine rugissante, dont certains sont devenus parents à leur tour. Une soirée constamment et littéralement sur le qui-vive.
Longs mois de répétition
Ce spectacle est à la fois le terme d’une longue et belle histoire du collectif In Vitro et le début d’une autre. Précisons qu’il est nullement nécessaire de connaître les trois spectacles qui ont constitué la saga « Des années 70 à nos jours » pour apprécier cet épilogue qui, comme les précédents épisodes, à sa propre identité et clôture.
Insatisfaite de la vie théâtrale qu’elle menait au sortir des écoles de théâtres comme actrice et metteur en scène, Julie Deliquet a rassemblé autour d’elle des acteurs qu’elle avait côtoyés et qui partageaient son analyse. Ils se sont réunis des mois durant dans un garage travaillant intensément à partir de propositions et de longues improvisations. Pour plus de détails je vous renvoie à l’entretien que j’ai réalisé avec elle dans la revue Ubu (n°56/57, 2nd semestre 2014). Puis est apparu un premier spectacle, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce (2009) fondant le collectif, suivi par une adaptation de La Noce de Brecht (2011), pour arriver à la création collective de Nous sommes seuls maintenant en 2013. L’idée du triptyque est arrivée en cours de route. Et donc aujourd’hui, l’épilogue : Christian et Catherine, fin de partie, fruit d’un travail collectif lui aussi, mais assez particulier.
Improvisation et sédimentation
Plusieurs mois, le groupe des acteurs (le même depuis le début) a travaillé avec Catherine (Eckerlé) et Christian (Drillaud), deux acteurs sortis des écoles dans les années 70, elle du Conservatoire national d’art dramatique, lui de l’école du TNS. Puis « les parents » ont disparu, les acteurs sont restés orphelins, gros de leur absence, de leur mort (symbolique), et là a commencé « la fin de partie ». D’autres mois de répétions qui ont conduit au spectacle, dont l’écriture, ré-improvisée chaque soir, évolue, y compris dans sa durée, sauf pour son prologue : un film vidéo où, répondant à des questions d’une voix off, les retraités Catherine et Christian parlent de leur fin de vie, de l’héritage qu’ils laisseront à leurs enfants, de l’après.
Une autre façon de faire du théâtre, plus personnelle, plus intime, plus nue. On peut dire que la méthode de travail et d’approche de la scène d’In vitro sont similaires à ce que fait Alain Cavalier au cinéma, je le dis d’autant plus volontiers que c’est une référence constante pour Julie Deliquet, en particulier Pater. D’ailleurs, son travail de répétition passe aussi par de nombreux tournages à partir de scénarios ponctuels.
Cette lente élaboration a conduit à entrelacer l’histoire de trois sœurs (filles de Catherine) et celle de quatre frères (fils de Christian). Les références à Tchekhov et à Dostoïevski sont de l’ordre du clin d’œil mais instaurent une filiation : nous sommes aussi faits de nos lectures. Cette double entrée narrative dans un lieu unique (le restaurant désert en fin de saison) instaure, elle, un glissement dont le spectateur, un instant perdu, comprend vite l’ordonnance, repère les changements de rôles : ces êtres sont aussi des acteurs. Belle dualité qui donne sa fébrilité au propos, improvisé mais avec des balises, chaque représentation nourrissant la suivante. De l’improvisation par sédimentation. Du théâtre toujours en mouvement. Du théâtre vivant au rebours de ces spectacles mort-nés, sans aspérités, sans vibrations et sans questionnement.
La parole ici se fonde autant sur l’absence (des défunts) que sur les retrouvailles de la fratrie dispersée (le commun vécu), les vieux contentieux entre frères, entres sœurs, remuent leur remugle. Le tout sur fond de vide : les tables du restaurant quasi fermé qui sont comme autant de tombes. Nul repas de funérailles, au plus boira-t-on un verre. La réunion pour cause de disparition réveille les vivants, les diserts comme les taiseux. Tout se noue autour du hors-champ : la maison familiale devenue demeure de vacances. Faut-il la garder ? La vendre ? Question qui renvoie à leur premier spectacle (la pièce de Lagarce). La boucle est bouclée. En toute intensité frissonnante.
Théâtre Gérard Philipe - CDN de Saint-Denis, dans le cadre du Festival d’automne, du lun au sam 20h30, dim 16h sf le 4 oct à 18h, relâche le mardi.
Théâtre Romain Rolland, Villejuif, du 3 au 7 nov ; La Ferme du Buisson, Marne-la-Vallée, les 21 et 22 nov ; Théâtre Paul Eluard, Choisy-le-roi, le 27 nov ; Comédie de Saint-Etienne, du 2 au 4 déc ; Comédie de Valence les 8 et 9 déc.
Suite de la tournée en 2016.